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Eddie Martin au Spirit : un sang neuf pour le blues !

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Eddie Martin – Spirit of 66 mardi 21 janvier 2003 Oui, j’ai raté Chris Spedding, mauvais point pour moi, je sais (j’vous dirai pas ce que je faisais ce soir-là sinon vous allez me tuer…), mais j’avais des yeux et des oreilles dans la place, même que je suis au courant (grâce à Maurice Maes) qu’il a fait trois rappels et qu’il a terminé par « Pogo Dancing »… Bref content de remarquer que l’ami Chris est toujours en forme…

Petite anecdote : dans ses dernières contributions, il faut écouter l’album posthume de John Phillips, ex-Mamas & Papas, (« Phillips 66 »/2001) pour se rendre compte à quel point Mister Spedding est indispensable !

Et félicitation à la grosse gourde de spectatrice attentive qui a pris ce guitariste de génie pour le préposé au vestiaire en lui présentant son ticket de consigne, non mais, elle ne regarde pas le show celle-là, elle vient pour la drague ou quoi, dis donc (wadidon) ?

Bon, passons à autre chose. La trève est finie, vive le Spirit ! Quel plus beau concert choisir pour la reprise que celui d’un bluesman parfait ?

A lire le folder de Francis, on ne pouvait décidément pas louper Eddie Martin

que certains n’hésitent pas à situer à un niveau comparable à God Eric soi-même, c’est dire… Pour être correct, disons que son pote Dick Heckstall prétend que l’Angleterre n’a plus donné à l’extérieur un guitariste pareil depuis les sixties (sic !).

Né à Londres mais reconnu comme bluesman incontournable par le landerneau texan, il commence à jouer de la guitare acoustique à l’âge de quinze ans. A seize ans, il se produit déjà sur scène dans un spectacle inspiré par les poèmes de sa mère. Influencé par Dr Ross and Joe Hill Louis, il découvrira un peu plus tard Freddie King (par l’album « Burglar ») et montera « The Mysterons », son premier groupe de blues. Il jouera aussi de l’harmonica tout en étudiant le blues rural et urbain. Il quitte alors l’école et entre aux chemins de fer en continuant à jouer sa musique le week-end.

En 1994, il crée un groupe de jazz/blues/fusion « Bluefuse », avec Don Weller (ex-Count Basie) et Dick Pearce (ex-Ronnie Scott) et ouvre pour Junior Wells, John Mayall, Walter Trout, Rod Piazza, Taj Mahal et Robert Cray. Il alterne les tournées sous diverses configurations, se fait régulièrement l’hôte des tout grands du blues et sera proposé aux nominations de meilleur bluesman de l’année, meilleur groupe de blues de l’année et meilleur album blues de l’année sans interruption à partir de 1995. Il reçoit aussi un accueil triomphal de la critique américaine.

De la même année date son premier album « Solo in Soho » (titre identique à un album de Phil Lynott) qui lui assure la collaboration de Dick Heckstall-Smith (ex-John Mayall) et de gens comme Alexis Corner ou Graham Bond.

La liste de ses contributions franchira l’atlantique : John Mayall lui-même, Paul Jones, toute la communauté texane du blues, Robert Ealey, UP Wilson, et sa rythmique actuelle : Guthrie Kennard et Jimmie « Blue Shoes » Pendleton (tous deux ex-Bo Diddley and Smokin Joe Kubeck).

La demi-douzaine d’album qu’il a déjà réalisés et ses trois cents concerts annuels font réellement autorité dans le genre blues-roots corsé aux inflexions continentales appuyé sur une voix splendide qui, dans ses grands moments, égale largement les pointures du genre.

« Blue to the bone » (1996) , « Fires and floods » (1999), “Live in the USA” et “Keep on working” (2001) préfigurent le splendide “Pillowcase Blues” de juin 2002, un vrai regal !!!

Je laisse quelques mots, en anglais dans le texte, à Martin Fairclough de Blueblood Records :

«On this album, you hear his mastery of vintage electric and acoustic blues on guitar and harmonica. And he can write a lyric that Willie Dixon himself would be proud of. Just check out “Natural Thing” for that. But then “Underwater Woman” or “The Hattfields and The Mc Coys” shows a new departure in his tireless search for new for new roots styles to clothe his songwriting. With the arrival of his new-all-Texan rhythm section he has shown himself as at home in Southern Rock and Country as traditional blues. So if you like good rocking blues, you have it a-plenty here- but Eddie adds another colour or two to the usual palette. HE TAKES HIS BLUES TO THE COUNTRY AND BACK TO THE TOWN !…/…”

Le dernière phrase de ces commentaires résume parfaitement ce qui fait l’essence et le charme des compositions du bonhomme. En fait : la restitution de musiques enracinées dans l’inconscient collectif transcendées par une démarche spontanée et naturelle. Eddie Martin reconstruit ses mélodies sur des bases très sincères et garde un naturel émouvant dans ses interprétations.

Il faut dire que son dernier CD ne contient que des titres originaux (pas de concession aux covers donc) dotés d’une structure irréprochable et influencés par ses rencontres ou ses références incontournables aux maîtres du genre. De là le son plus-vrai-que-cela-tu-meurs qui se dégage de l’ensemble et qui vaut le déplacement…

Parlons-en donc (lonzandon) du déplacement, puisque c’est pour cela qu’on est là, non ?

Entouré de Michael Wiedrich (extraordinaire batteur !!!) et de Marian Dalton, une bassiste assez atypique mais combien efficace, notre brave Eddie entre d’abord dans le vif du sujet avec un solo de dobro à tomber mort.

Ce doit être « Long Ride Home » de l’album « Pillowcase Blues » (2002), à quelques variantes près. On sent déjà que ce gars n’est pas manchot et à voir l’état du dobro, on peut imaginer les milliers d’heures de vol que cette gratte a dû encaisser (encaisser… caisse… pigé ?).

« Blues With feeling » est un extrait très roots de l’album 1999 « Fires and Floods ». La partie d’harmonica fort « stylée » vaut, à elle seule, le déplacement.

On sent déjà les bonnes vibrations de Michael Wiedrich, le batteur, dont il faut que je vous parle absolument. Ce garçon, venu tout droit de Chicago, est, sans doute, la plus gentille personne que j’aie jamais rencontré. Il est tellement désarmant de simplicité et de chaleur humaine qu’il m’en fait perdre mon anglais. (Qui a dit « c’est pas difficile » ? hein ?) C’est la deuxième fois que je le vois (NB : avril 2002 avec Gwyn Ashton et Sambor Kansy à la basse, pour ceux qui s’en souviennent) et j’en éprouve toujours plus de plaisir. Au-delà de sa convivialité toute naturelle, il m’étonne, m’intrigue et me fascine réellement. Cinquante-cinq kilos tout au plus, affichant une nonchalance désarmante, il donne toujours l’impression de se la jouer cool mais, bon sang, qu’est-ce qu’il sort de ses peaux et de sa caisse !? Des coups de canon. Son jeu, au pied, est sans doute le plus tranchant qu’il m’ait été donné d’entendre dans ces lieux saints (voilà que je vire mystique maintenant…). Une véritable batterie de points cinquante à lui tout seul…. Mais comment est-ce qu’il fait ? Il ne donne même pas l’impression de bouger et ne quitte jamais sa clope…dont la cendre ne tombe même pas. Un cas, ce Michael. La force de frappe tranquille, sobre et mystérieuse. Quand on voit l’état des drumsticks après, on se dit qu’il a un truc magique pour cartonner à ce point. En tout cas cela s’entend. C’est mon pote ce gonze, je l’adore !

On était où là déjà ? Ah ! Oui ! « Underwater Woman » (extrait de l’album 2002) et son gimmick rythmique clin d’œil à « Not Fade Away » qui hypnotise littéralement l’assistance très en nombre ce soir (fantastique pour un mardi, merci les dieux du Blues…).Eddie Martin virevolte littéralement sur le manche de sa « KAY » . Quelle guitare ! Un son gras et lourd mais chaud et réconfortant en même temps. Il y a des inflexions encyclopédiques impressionnantes dans la texture de cet engin qui a été fabriqué en 1958. Les stigmates du temps et les sonorités profondes l’ont zébrée comme un meuble ancien, une stèle à la gloire du Blues de chez Blues ! Elmore James et Jimmy Reed ont utilisé le même modèle entre 50 et 60. Le jeu d’Eddie Martin a beau être moderne, limpide et cristallin, cet engin, chargé d’histoire (c’est indéniable) dégage des airs enfumés et crades d’un Mississippi rageur qui aurait débordé de sa source (mais que je m’aime dans ce style inimitable… hum !).

Pour rester dans le ton, voici que survient l’énorme « Elmore Stomp » (devinez de qui c’est) qui me fait verser ma larme, dommage qu’il est pas là l’autre Elmore d’Herstal, pour entendre cela, il aurait pris des notes… j’en suis certain. Grand, géant, giganténormissime. Je reverse une larme…

« Please Stop » (oh non surtout pas Eddie !) de « Pillowcase Blues » rajoute encore une couche de bonheur à cette plongée dans le delta. Le jeu d’harmonica tel qu’il le pratique (scotché sur un gabarit autour du cou) compense magnifiquement l’absence de rythmique spécifique et donne une profondeur de champ très belle, à l’ensemble..

Survient alors l’inénarrable « I done, done it, don’t do it » (Pillowcase Blues 2002) suivi par le non moins décapant « Prickly As A Porcupine » (Fires And Floods (1999) composé en souvenir de son ex-femme qui dénotent le sens de l’humour du bonhomme et mettent le feu au bastringue, puis « Too Many Red Lights » (« Keep On Working acoustique 2001) repris ici dans une version plus musclée (qui) inspire à Eric, le lightman un jeu de lumière d’un rouge parfait et admirable…

Entre les deux, j’oubliais “Though but Tender”, composition personnelle d’Eddie Martin qui aurait dû figurer sur l’album “Pillowcase Blues” mais qui attendra sans doute le suivant.

Une partie de la salle presque démobilisée par l’imminence du break s’est ramassée aussi sec au démarrage de « Everyday I Have The Blues » (ne serait-ce pas la compo des frères Sparks ça dis donc !? Mais oui va, c’est Memphis Slim qui la popularisa) qui est sans doute un des trois plus grands blues que j’aie jamais entendu au Spirit (et les deux autres Didi c’est quoi ? Ben, forcément « Red House » à toutes les sauces et aussi « Million Miles Away : (G)allagher comme (G)allagher !) de Nine Below Zero avec Gwyn Ashton… ou l’contraire !).

C’est donc sur les genoux que nous atteignîîîîîîîmes la mi-temps, tout émerveillés des immenses possibilités du fantastique Eddie qui n’en avait encore montré qu’une partie (mais cela on l’a su après le break !).

Second part of the show, ladies and gentlemen : « You Thrill Me », morceau fétiche d’Eddie Martin se retrouve à la fois sur l’album 1995 « Solo In Soho » et sur «Blue To The Bone » (1996). La version de ce soir est plutôt musclée et réveille instantanément les assoupis et les distraits. Mais qu’est-ce que ça bastonne ce truc… dingue. On est repartis comme en 40 vers les sommets du plaisir.

Transition vers la country (au grand dam d’Antoinette, qui est une grande dame aussi d’ailleurs) avec la légende épique des Hatfields et des McCoys qui se sont rentrés dans le chou pendant douze longues années, on ne sait même pas pourquoi… Tant qu’on est dans le Sud et dans les classiques, c’est parti pour la gigue en G « String Flings » (Live in USA 2001) qui assure une ambiance bon enfant et a le mérite de mettre tout le monde de bonne humeur (vu qu’on est venus de son plein gré et qu’on n’est pas là pour se faire ch…).

Je vous recommande vraiment « I wanna Groove With You » parce que c’est un morceau d’une fidélité à toute épreuve aux bases vocales et mélodiques du blues le plus pur. Rien que ce titre vaut l’achat de l’album 2002. Mais quelle voix… quelle voix il a cet Eddie, fabulous singer !

Je me rends compte que je n’ai pas encore parlé de Marian Dalton, filiforme bassiste, 1m80 au moins) et 45 kilos (au plus), coiffée du plus beau chapeau que j’aie vu, en léopard sudiste pur jus rare , robe pareo du plus bel effet et bottes country, elle flashe vraiment Ma Dalton ! Elle a frappé l’imagination et l’admiration de ma copine Antoinette qui me fit remarquer d’entrée de jeu que quand une femme joue de la basse cela se remarque instantanément par la pétillance et la vivacité des accords… Bon, j’vais pas me disputer avec une féministe, assidue et connaisseuse, en plus, mais cela dit, elle a raison parce que l’emballage de la Marian vaut bien une révolution sonore (oui je sais c’est facile). Disons qu’elle exploite avec maestria, doigté et efficacité sa superbe basse à cinq cordes boostée comme un orchestre de cent musiciens (et j’exagère à peine). D’après Antoinette (décidément spécialiste hors pair des grosses cordes) bien que sans sticker visible, cela doit être une Fender Squier MB5 avec trois mini tuners… Ben tiens, Toinette, une véritable encyclopédie dis donc (dididon)… Notre Miss bassite a de la planche, ça se voit et cela s’entend. Elle, non plus, ne donne aucunement l’impression de forcer et ça sort comme des obus de l’an quarante (ah ! ces images guerrières toujours, bon je change, disons que ça déménage comme les moteurs quatorze bus du TEC à quatre mille tours dans le raidillon à Francorchamps, hum mauvais exemple Francorchamps…). Enfin bref, sa présence assure une amplitude bénéfique et incontestable aux envolées de l’ami Eddie, qui trace sans sourciller dans tous les genres (country-boogie-blues-rock inferno, et même légèrement swing…).

Je disais donc “I Wanna Groove With You” est une chanson sublime et la crédibilité d’Eddie Martin dans ce registre est immense.

Le boogie qui suit (“I Want That Girl” unreleased) permet au trio d’enclencher le turbo et même “Cool and Lonesome” brille de mille feux comme une soirée de remise des Awards (de blues of course). A écouter absolument sur l’album “Pillowcase” (2002).

Puis, arriva l’INSTANT ! Le suprême moment de bonheur et de grâce qui réveille en toi tous les instincts de plaisir et de jouissance. La demi-heure de voltige et de virtuosité musclées sans comparaison possible à ce jour (hormis peut-être l’énorme “Guitar Jamboree” de Chris Spedding,). Eddie Martin nous assène avec implacabilité (le mot n’existe pas mais je l’invente, na !) un passage en revue de la technique, du spirit et des émotions musicales du TEXAS HALL OF FAME. Géant, megaménobuleux, gigantastique !!! Quatre impros impériales et définitives. Une encyclopédie musicale, ce garçon !!! Voici que défilent devant nous Lightning Hopkins, T Bone Walker, Freddie King et Stevie Ray Vaughan. C’est irracontable, fallait être là ! Ceux qui ont entendu cela s’en souviendront longtemps. Eddie Martin recrée l’atmosphère si caractéristique de chacun d’entre eux en privilégiant le jeu d’ensemble et surtout, il recrée leur son de manière imparable. C’est surprenant, délicieux et irréprochable. Petite mention quand même au jeu final de Stevie Ray Vaughan, tout y est : la profondeur de jeu, le sens des aigües, la vitesse et les changements de rythme et cette impressionnante persistance de la dernière note planant dans l’air comme un lumineux message : LE BLUES EST LE “CHŒUR” DU MONDE !!!

Premier rappel : “Down The Road” (“Pillowcase Blues 2002) une fresque, un hymne, bref, comme son nom l’indique, une road song irréprochable au gros son qui nous transporte en pensée sur la route 66 et nous fait voir les paysages empoussiérés du sud profond. Pour peu on imaginerait la grange brûlée et la cabine téléphonique abandonnée au bord d’un vieux garage grinçant où traînent ça et là quelques panneaux publicitaires métalliques effondrés aux noms de marques rouillés ou effacés…

Deuxième rappel : le swingant “Lets Get together” (album 2002) avec une participation convaincue du public qui sent bien qu’on est près de la fin du concert et redouble d’enthousiasme en applaudissant l’artiste à tout rompre. Je me demande si Eddie Martin n’a pas mixé “Cleanheadblues” dans l’un de ses mélanges dont il a le secret. C’est une reprise de Eddie Cleanhead Vinson à laquelle, il a rajouté quelques vers à lui…

Je ne me plaindrai certainement pas de ma soirée de reprise. Le concert fut superbe, enlevé, soutenu, très en prise avec le blues que j’aime : carré, puissant mais toujours émouvant, agrémenté de passes d’armes phénoménales et encadré par une paire rythmique irréprochable.

Quant à Eddie Martin, j’y arrive enfin, c’est non seulement un super pro mais aussi un garçon affable, convivial, sympathique et… disponible. Ce gars n’a pas la grosse tête et cherche à faire plaisir pour le fun. Il sait toutefois garder un œil sur le compteur et ne dit pas n’importe quoi. On sent qu’il connaît la musique (ben tiens !), qu’il fait couple avec le blues comme une conscience intérieure et qu’il respire la sérénité. J’ai rarement été aussi à l’aise avec ce type de “pointure” (qui débarquent tous les soirs, au Seize de la Place du Martyr). Faut dire que Michael Wiedrich m’avait rendu assez cool.

Eddie Martin a une capacité de jeu illimitée. Ce qui me plaît surtout chez lui, c’est qu’il est en mesure de tout faire mais qu’il ne cherche pas à en mettre plein la vue. Son truc c’est le blues, pas la galerie. Sa musique sonne forte, épaisse, sans concession mais belle et terriblement attachante. On sent qu’il maîtrise le langage instinctif des plus grands, sans fioritures mais avec soin, précision et netteté. Ainsi dans son medley texan, il aurait pu privilégier la virtuosité et les effets de tous genres mais non, il a cherché à donner le sens de la mesure (c’est vraiment le cas de le dire) de chacun des géants du blues, très simplement mais très judicieusement. C’est cela qui rend la performance belle et attachante ! Toutes ses compositions personnelles ont une attache réelle et profonde avec le blues et ses arrangements traduisent la sobriété et un certain dépouillement proche des valeurs enfouies dans l’universalité de cette musique à nulle autre pareille. On reparlera d’Eddie Martin, je le sens et je crois qu’on ne mesure pas encore assez l’importance de son passage à Verviers, c’est un TOUT GRAND !!!

DD

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