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Mitch RYDER et Engerling

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MITCH RYDER SPIRIT OF 66 25 janvier 2002 J’avoue que j’attendais ce moment avec impatience. D’abord parce qu’un nom pareil ne s’oublie pas (ceux qui connaissent la scène de Detroit comprendront), ensuite parce que le gaillard a quand même changé de vie et de style par rapport au passé et, enfin, parce qu’il est maintenant accompagné d’un combo germain surpuissant : ENGERLING !

Manne Pokrandt à la basse, Boddi Bodag aux keys, Vincent Brisach aux drums, et les deux guitares : Robert Gillespie et Heiner Witte : un quintet qui vaut de l’or en ménageant un encadrement somptueux aux parties vocales dispensées admirablement par ce frontman hyper-soul quasi-inclassable qu’est Mitch Ryder.

Un peu d’histoire quand même. Né dans le Michigan, en 1945, véritable légende de la scène de Detroit, dans les années soixante, il fut sans doute le meilleur interprète de soul et de rythm and blues blanc que les USA connurent à cette époque. Influencé très tôt par le Tamla-sound et par Little Richard, il croise des formations comme Tempest ou les Peps. Il forme en 1963 Billy Lee and The Rivieras constitué de deux guitaristes polyvalents (lead & rythm) Jim McCarty et Joe Kubert (décédé en 1991), du batteur Johnny Badanjek et du bassiste Earl Elliot. Le groupe atteint très vite une notoriété inouïe sur le circuit, remarqué par un DJ influent, Bob Prince, ils sont rapidement produits par Bob Crewe, manager des Four Seasons (vous vous souvenez de Frankie Valli « December 63, OWAN » ?). C’est le moment que choisit William Levise Jr pour convertir son nom en Mitch Ryder (choisi au hasard dans le bottin) et rebaptiser son groupe « The Detroit Wheels ».

En 1966 les choses prennent une tournure intéressante.

Le medley « Jenny Take A Ride » (n°10) préfigure le début d’une longue série de succès parsemée de trois autres pots-pourris légendaires (formule reprise aussi par Bob Seger live) : «Devil With A Blue Dress On/Good Golly Miss Molly » (n°4 en novembre 1966), « Too Many Fish In The Sea/Three Little Fishes » (n°24 en mai 1967) et « Personality/Chantilly Lace » (n°87 en février 1968). La cover des Righteous Brothers « Little Latin Lupe Lu » se classera n°17 en avril 1966 et le super hot « Sock It To Me, Baby ! », n°6 en mars 1967 qui fut bannie des ondes par censure au moment où elle allait devenir N°5.

Quelques orientations maladroites de la carrière de Mitch Ryder dues aux atermoiements de managers peu sûrs vont retarder d’autant le succès suivant qui naîtra de l’album « The Detroit-Memphis Experiment » produit par Steve Cropper, en 1969.

En 1970, Jim McCarty fonde Cactus et Mitch Ryder retrouve Badanjek avec lequel il crée « Detroit ». Dick Wagner, ex-Frost, les rejoint dans ce véritable Hard Rock Band pour l’album « Detroit 1972 » qui contient la reprise « Rock and Roll » de Lou Reed.

Puis c’est une première traversée du désert éclairée en 1978 par « How I Spent My Vacation » (humour féroce…) et par le coup de pouce du « Boss » qui reprendra à son répertoire pour « No Nuke » : « Devil With A Blue Dress On » en 1979.

Mitch Ryder bénéficiera aussi d’un soutien amical de John Cougar Mellencamp qui produit son album 1983 « Never Kick A Sleeping Dog ». Pour la petite histoire, John Cougar cite Mitch Ryder parmi les pionniers du rock qu’il évoque dans sa chanson « Rock in the USA ».

Exil au Colorado et nouvelle traversée du désert jusqu’en 1990 où on le retrouve à nouveau live. Il semble qu’il ait désormais l’Allemagne comme tête de pont d’allers retours incessants entre l’Europe et les USA, grâce à un public sans cesse renouvelé et avide de grandes voix soul.

Quelque vingt-cinq albums sont venus émailler une carrière discographique malheureusement pas toujours cohérente. Aujourd’hui Mitch Ryder est toujours là, un peu comme un « survivor » et c’est cela qui compte avant tout. Il nous a donné ce soir, encore, la preuve vivante que le rock and roll ne meurt jamais .

C’est vrai que la voix du bonhomme est impressionnante. Certains diront qu’ils touche à tous les registres, d’autres y entendront la palette qui va de Van Mo à Jim Mo (joke…) ou encore de la Tamla à la Stax. Il n’empêche, au-delà des « vocals », c’est toute une vie qui fait résonner le timbre soul de William Levise Jr et à travers lui, bien entendu, c’est le blues qui jaillit dans toute sa splendeur, massif, bouillant, émouvant et sincère.

Je me demande néanmoins, après avoir vécu ce concert de toute beauté si c’est la performance de Mitch Ryder ou l’impressionnante qualité du Band qui m’a le plus fait vibrer… d’autant que si l’on se place en perspective avec le répertoire, l’habillage sonore jaillit instantanément de la mémoire.

J’ai eu l’occasion de parler un peu avec Gert Leiser, le manager de Engerling, garçon super sympa s’il en est, qui m’a raconté les péripéties de la rencontre avec Mitch Ryder et l’histoire du groupe. C’est un itinéraire pas banal pour les « Hannetons » d’Allemagne de l’Est, à l’ époque, mais c’est une consécration logique pour un groupe qui tourne depuis les années septante (1974 si je ne m’abuse).

Pour une fois, je vais me contenter de vous parler du show dans son ensemble.

Cela faisait bien 20 ans que l’ami Mitch (amusant l’assonance) n’avait plus mis les pieds en Belgique et pourtant l’assistance était composée majoritairement des voisins allemands (99%) plus mes potes, quoi… On sentait dans l’air comme une connivence instinctive largement acquise à la cause du frontman de Detroit.

Pourtant, je l’ai trouvé plutôt distant et sans cesse retenu vis-à-vis de ce public inconditionnel. Est-ce sa façon d’être, de la timidité ou un peu de crainte ? Je ne sais trop. Son épouse, par contre, avec laquelle nous avons discuté après le concert, était, elle, intarrissable. Faut dire que mon pote MDB sait y faire, dans le genre causant…

Démarrage carré et presque brut sur « War » chanson plutôt de circonstance et assez engagée… On mesure déjà la puissance de feu du groupe derrière, pas mal, pas mal. La salle intervient dans les gimmicks vocaux et Mitch Ryder semble progressivement entrer dans le vif du sujet… Son apparence m’impressionne. Véritablement dissimulé derrière des lunettes noires, coiffé d’un chapeau que n’aurait pas renié Gene Hackman dans French Connection, vêtu d’une longue saharienne brune, il dégage une impression de sévérité et de gravité dans le propos.

Il faut bien dire que si déjà les textes des trois premières chansons War-Terrorist-Subterranean Homesick Blues (B/D) pouvaient le faire passer pour subversif, la quatrième, par les temps qui courent, lui vaudrait l’emprisonnement immédiat aux USA: « Er ist nicht mein Präsident, Ich Bin auss America… Dois-je vous dire que l’assistance reprend ce refrain en chœur… et moi avec ! Cette chanson construite sur un beat reggae soulève littéralement l’enthousiasme des spectateurs éblouis et heureux…

Dès l’entame, j’ai remarqué les dialogues entre les deux guitares. C’est magnifique, « wunderbar » !!! Heiner Witte (membre fondateur) dégage une impression de force et de puissance énorme et Robert Gillespie alterne les nuances et les subtilités avec une dextérité sensationnelle. Le bassiste (Manne Pokrandt) assure un véritable beat « olympique » et les claviers superbes (Boddi Bodag, autre membre fondateur) dominent adroitement l’ensemble pendant que les drums ciselés par un orfèvre (Vincent Brisach) caché derrière ses fûts, cadrent magnifiquement le sujet !

De temps en temps, Wolfram « Boddi » Bodag nous sort un solo d’harmonica à tomber mort (entre autres pour Sunterranean…).

« Freezin’ in Hell » (extrait de « How I Spent My Vacation » 1978) et « Everybody lo(o)ses » nous donnent à nouveau l’occasion d’apprécier le combo dans toute sa maîtrise et la voix de Mitch Ryder qui vient se couler là-dessus de manière irréprochable.

« Red Scar Eyes » et son intro lumineuse aux claviers est belle à pleurer. La percée de Gibson de Bob Gillespie illumine totalement ce qu’on peut considérer comme un chef-d’œuvre à part entière (album « Got Change In A Million ? » On vit là un des grands moments du show. Ce solo à deux (piano/guitare) dure près de cinq minutes et prépare un démarrage collectif sublime. La reprise du thème par tous les instruments en même temps me fait naître au fond des tripes une émotion que je croyais ne plus pouvoir ressentir, à force d’habitude (que du bonheur au Spirit !) mais j’ai les yeux qui s’humidifient quand Mitch Ryder commence à chanter. Putain que c’est beau cette affaire là !!! Et les jeux de guitare bien calés derrière les battements colossaux de Vincent Brisach me rappellent les plus belles heures de ma vie de fan de hard rock… Tout est mélodique et nous nous fondons magiquement dans une infinité de sons tissés de mains de maîtres par cinq musiciens généreux et géniaux venus de l’Est…

« If The Shoe » (expression intraduisible) et son entame légèrement arabisante annonce le sublime « Ain’t Nobody White » au rythme ravageur où l’on peut avoir une petite idée de ce qu’étaient les chansons de M/R « avant » ! Parce que malheureusement, il semble intraitable à l’idée de reproduire ses anciens succès commerciaux en Europe (alors qu’aux States, il ne chante que ceux-là précisément). Dommage pour nous… Il reste que les compositions « heavy » actuelles du bonhomme pourraient entrer dans n’importe quelle anthologie du rock and roll. Retour au sublime passage de claviers/guitare (cette fois c’est Heiner qui s’y colle) et fin instantanée comme M/R les adore. (Ca surprend toujours un peu…).

« Heart of Stone » (des Stones précisément) est également une chanson hors normes. L’arrangement qu’il nous livre est puissant, soutenu par tout le groupe alignant les accords au carré dans une cohésion et une mobilité maximales. Et la voix de Mitch impériale, divine, plus belle que van Mo dans ses grands moments (et je pèse mes mots) domine un ensemble fantastique. Il se permet même des jeux sur les cordes vocales (grands écarts entre les vocaux black aigus, les basses blanches et des coups de screamin’ voice les plus extrêmes que j’aie jamais entendus…)

Retour au beat reggae avec « True Love » (titre de 1973, je crois) ainsi qu’aux longs soli de guitares que j’adore (vraiment excellents Robert et Heiner). Les inflexions vocales super soul de Mitch Ryder et la scansion de cette chanson rendent le beat véritablement hypnotique. Ca canarde de partout, la solo trace des sillons nerveux sur les passages de claviers saccadés et le chant complète magnifiquement les temps intermédiaires. Ca donne envie de bouger ce truc, dingue ce que ça fait vibrer et planer. M… le solo de guitare qui démarre là maintenant en appui sur le précédent… On dirait qu’ils ont quatre mains chacun, que c’est beau, que c’est grand…. AAAALLLL Righhttttttttt !!!!!!! J’vous dis pas les applauses là-dessus : du délire !

« Wicked Messenger » (du Dylan dis donc) arrangé comme il est là ferait partie d’un final plutôt à Donington qu’à l’Olympia… je veux dire par là que les passages de guitares dégagent une puissance de feu maximale et déménagent à qui mieux mieux dans un balam balam d’enfer. Mais moi personnellement, j’adore !

On arrive alors à l’apocalypse de « Gimme Shelter » introduit par un « Ghost Riders In The Sky » distordu et démesuré qui lacère l’air ambiant de ses traces sonores suraigües mais tellement belles. Quel travail ! Quel son maman !!! On s’envole, attention là ça va démarrer. Accord rythmique classique et relevé, la guitare seule donne le rythme, c’est du Stones pur jus ça hein Madame ? Puis la grosse caisse à contretemps, des coups de claviers sublimes et chauds nappent l’ensemble, c’est parti, envolée générale des touches, son complet, guitare de gauche OK, guitare de droite parfaite… La basse martèle (Djjjjiiiiseusssssssssse !!!) et ça sonne et ça tonne, mise en place grandiose, impossible d’expliquer, je lâche les amarres, c’est Mitch qui prend les commandes, le chant, la voix, le ton, le son ça tourne dans tous les sens, ça s’imprime en toi comme des morsures douces et bienfaitrices, tu te sens soulevé par une lévitation intérieure, c’est comme si une comète traversait la salle, tout vibre de plaisir et explose de chaleur tendre, ton être démesuré par le bonheur gagne l’infini dans la jouissance : accès total à l’éternité !!! Voilà que les deux guitares et la basse font le carré parfait devant la batterie, elles décuplent le son, ça prend l’ampleur de cent mille orages réparateurs et elles conservent un rythme incroyablement dense, que c’est beau, que c’est fort, que c’est GRAND ! OOOuuuuuuuahhhh !!! INIMAGINABLE !!!

On sait que Mitch Ryder est plutôt avare de rappels. Ce soir, il nous en a offert un (et un seul) mais pas n’importe lequel, un extraordinaire « Soulkitchen » d’un quart d’heure, introduit par les coups de pattes magistraux de Heiner Witte et soutenu par un jeu de drums hyper-fin. Inutile de dire que Boddi Bodag distille, dans l’intro, ses longs rideaux sonores arachnéens comme des joyaux. Cette chanson des Doors convient admirablement à Mitch Ryder. Le sens même des lyrics devrait nous laisser penser que le show va durer encore (« let me sleep all night … » ) et bien non, on aura appris à oublier (« learn to forget »). C’est un vrai regret parce que l’assistance incandescente le méritait bien. Il sera écrit que les rock-heroes rentrent maintenant se coucher tôt … mais nous, on a encore fait la fête après, en pensant à tous les bons moments qu’il reste à venir dans cette salle de légende(s).

Je terminerai par où j’ai commencé : Engerling est vraiment un groupe exceptionnel et, pour moi, au-delà du monstre sacré et de la valeur sûre que représente Mitch Ryder, ces cinq musiciens d’Allemagne (en fait quatre + 1 américain) la véritable révélation de la soirée.

DD

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