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Examen de passage réussi pour KORN à l’AB

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Korn ne s’est pas contenté d’être un des initiateurs du néo-métal dans les années 90, il s’est aussi posé en expérimentateur de genres alternatifs, ce qui n’a pas toujours été forcément du goût de son public. Après le décevant album sans titre de 2007, Korn était revenu avec bonheur à ses fondamentaux en se fendant du solide “Korn III : Remember who you are” de 2010. Puis, sans crier gare, le groupe de Jonathan Davis, Munky et Fieldy s’est penché sur la question du dubstep avec “The Path of totality”, sorti fin 2011. Korn faisant du dubstep, c’est un peu comme si Motörhead se mettait à la polka ou si Lana Del Rey se convertissait au death metal brutal et technique. Il fallait oser. Pourtant, ce dernier album a su démontrer que Korn savait assimiler avec talent des éléments musicaux sortant de ses terrains de prédilection. Et quand on y réfléchit, le néo-métal de Korn contenait intrinsèquement des influences hip-hop annonçant de près ou de loin cette aventure dubstep.

L’heure de vérité pour Korn va sonner sur scène avec sa tournée européenne qui a démarré le 12 mars en France. Après le Bataclan de Paris, la Rockhal de Luxembourg ou le Paradisio d’Amsterdam, les brutes de Bakersfield arrivent ce 23 mars à l’Ancienne Belgique, qui les avait accueillis en octobre 2010 à l’occasion de leur tournée de promotion de l’album “Korn III”. Quand Korn, il y a douze ans, arpentait les planches de grandes salles comme Paris-Bercy ou le Forest National, le voici maintenant au Bataclan ou à l’AB. Et les concerts complets d’il y a deux ans laissent maintenant la place à des shows où il y a encore des billets à vendre. Korn est-il sur la pente fatale, s’est-il coupé de son public traditionnel et n’a-t-il pas encore trouvé de nouveaux fidèles ? Réponse ce soir.

La foule qui s’amoncelle en masse compacte plus de 45 minutes avant l’ouverture des portes de l’AB révèle déjà que les fans hardcore de Korn n’ont pas laissé tomber leur groupe fétiche. Lorsque nous entrons dans la salle, je vais me réfugier au balcon près de la scène, préférant éviter l’écrasement dans la fosse, dont les explosions sont d’ores et déjà annoncées, vu le degré de motivation d’un public jeune et bien chaud. En effet, au moins 80% de la foule a moins de 25 ans, ce qui démontre que Korn a su renouveler son auditorat. La plupart des gens ici présents apprenaient à peine à lire au moment de la sortie du premier album du groupe en 1994.

Les premières parties constituent également des surprises. Le premier à monter sur scène n’est ni plus ni moins que Jonathan Davis lui-même, dans son projet solo J. Devil. Ayant revêtu la peau d’un DJ, Davis, qu’il faut appeler ici J. Devil afin de respecter sa parfaite schizophrénie, livre 25 minutes de dubstep et de techno hardcore. Je ne vais pas me perdre en commentaires sur le dubstep car ce genre me préoccupe à peu près autant que le championnat de hand-ball équatorien. On aime ou on n’aime pas. Vous voyez la Foire du Midi ? La musique de J. Devil est à peu près équivalente à celle du stand de la pêche aux canards ou de la grande roue. Mais bon, si Jonathan Davis a envie d’explorer cette voie, respect. On ne contestera pas les choix du maître. Davis bricole quelques boutons sur sa console et la musique s’élance, toute préparée à l’avance, permettant à son auteur de se livrer à des danses dégingandées en faisant sautiller sa silhouette longiligne et élastique. Le public ne dit pas non, mais c’est une petite minorité qui se laisse aller à l’enthousiasme sans retenue. Tout ce que l’on peut espérer, c’est que les petites manies musicales de Monsieur Davis ne prendront pas trop le pas sur l’inspiration future de Korn.

Il faut encore subir une deuxième couche de dubstep avec DJ Downlink qui, lui, n’a pas de groupe de métal en parallèle pour faire de la bonne musique. Et c’est reparti pour vingt minutes de musique électro excitée et impersonnelle. La seule question qui se pose à ce moment-là est de savoir quand le calvaire va se terminer. Les temps ont en tout cas bien changé : avant, quand les premières parties n’avaient rien à voir avec le groupe vedette en concert, elles se prenaient un copieux déluge de canettes sur la tronche. Le public est désormais plus ouvert, ou alors il ne jette plus les verres en plastique sur scène parce qu’il peut en tirer vingt centimes pièce en les ramenant au bar après le concert…

Enfin, on ne va pas s’enliser davantage dans le dubstep de Downlink car il y en a encore un petit peu qui nous attend avec le concert de Korn qui débute à 21 heures. En effet, le groupe de Bakersfield a prévu dans sa set list une phase de six morceaux extraits de son dernier album. Ceux-ci interviennent après un premier épisode consacré à quelques bons vieux classiques des débuts destinés à chauffer le public. Ce dernier s’embrase d’ailleurs assez rapidement sous les premiers tirs que sont “Predictable”, “Lies”, “No place to hide” et “Good God”, en provenance des deux premiers albums du groupe. La phase consacrée au nouvel album se passe bien, l’association entre néo-métal et dubstep se faisant au profit de la suprématie des guitares et du style Korn qui donne à cet ensemble tout le punch nécessaire.

Pour les autres titres, Korn joue la sécurité en assénant de nombreux extraits de ses albums les plus anciens. Seuls cinq morceaux de “The path of totality” représentent la musique la plus récente du groupe. Après cette phase, Korn revient aux fondamentaux avec “Here to stay”, “Freak on a leash” ou “Falling away from me” qui vont creuser des blessures béantes dans le public. La fosse s’ébroue en fabuleuses déflagrations où se multiplient les mosh pits, crowd-surfings et pogos incessants. De mon balcon, je suis toute cette activité avec amusement. Certains types sont de véritables habitués du slam, se faisant porter par la foule jusqu’aux barrières de sécurité près d’une dizaine de fois au cours du show. Les sbires de la sécurité extraient en permanence des corps pantelants de la fosse, recrachés par la masse comme des glaviots humains. Sur scène, les gens de Korn travaillent à l’économie pour un effet maximum. Souvenons-nous que Jonathan Davis (chant), James “Munky” Shaffer (guitare), Reginald “Fieldy” Arvizu (basse) et Ray Luzier (batterie) sont tous désormais quadragénaires et doivent se ménager sur scène s’ils veulent éviter la hernie discale ou le lumbago. Mais lorsque les énormes “Here to stay” ou “Freak on a leash” viennent s’abattre sur la foule, on retrouve le Korn des débuts : Davis est recroquevillé sur son fameux pied de micro dessiné par Giger (le concepteur d’Alien), Fieldy abat des accords de brontosaure en sautillant sur place et Munky joue à ras de terre, cisaillant ses riffs carnassiers. Quant à Ray Luzier, perdu derrière son mur de fûts, il démantèle des rythmiques avec une puissance de bûcheron sous testostérone et une technique de chirurgien maniaque.

Le show principal s’achève avec une reprise exemplaire de “Another brick in the wall” de Pink Floyd, souvent jouée par Korn sur scène, un temps délaissée mais qui effectue ici un retour triomphal. La version que j’entends ce soir est une des meilleures qu’il m’ait été donné d’écouter de la part de Korn. Le public lessivé par ce tsunami sonore réclame du rab à cor et à cri. Un rappel providentiel vient sauver ces pauvres âmes avec un Korn plus triomphant que jamais s’acquittant de “Shoots and ladders”, bien évidemment introduit avec la non moins fameuse cornemuse de Jonathan Davis. Le morceau est enchaîné à un bout de reprise de “One” de Metallica, un moment encore familier des concerts de Korn. Puis ce sera l’immortel “Blind”, qui termine d’enterrer le public sous une avalanche de décibels musclés et tendus.

Les types qui sortent de la salle ruisselant de sueur et en loques sont la preuve que Korn n’a pas encore décidé de jeter l’éponge. Il en aurait pourtant fallu une bonne pour absorber les hectolitres de transpiration et de bière rance qui engluaient le sol de l’Ancienne Belgique après ce concert cyclopéen.

Set list : Predictable / Lies / No place to hide / Good God / Narcissistic cannibal / Kill mercy within / Chaos lives in everything / My wall / Get up! / Way too far / Here to stay / Freak on a leash / Falling away from me / Another brick in the wall // Rappel : Shoots and ladders+One / Blind

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