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FU MANCHU complètement fou à Anvers

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Un passage de Fu Manchu à moins de 300 kilomètres de mon quartier général entraîne systématiquement un déplacement de mes services, c’est une loi. Cette année, nous sommes gâtés puisque l’un des plus anciens groupes stoner de la planète visite l’Europe avec un concept que d’autres combos ont déjà repris avant lui : l’interprétation complète et dans l’ordre d’un album classique de sa discographie. Lou Reed l’a fait, Metallica l’a fait, Killing Joke l’a fait, Rush l’a fait, alors pourquoi pas Fu Manchu ? Mais que pouvait donc bien choisir la bande de Scott Hill comme album représentatif de sa longue et riche carrière ? L’album “The action is go”, bien sûr, puisque premièrement, il s’agit du meilleur album de Fu Manchu et que deuxièmement, il fête cette année ses quinze ans. Je me souviens du jour où je l’ai acheté, peu après sa sortie. Je venais de découvrir Fu Manchu l’année précédente et mon esprit en était encore tout retourné. Comment un groupe pouvait-il avoir un son aussi puissant ? Comment pouvait-il associer nervosité punk et énormité d’un son directement sorti des coulisses du hard rock des années 70 ? C’était simplement parce que Fu Manchu jouait du stoner, et qu’il en était un des précurseurs avec Kyuss et Monster Magnet, en ces riantes années 1990 déjà marquées par la crise mais pas la même que celle de maintenant.

Fu Manchu, c’est d’abord et avant tout Scott Hill. Ce grand dadais blond au physique de surfeur californien (ça tombe bien il habite justement à Orange County) fonde sa bande en 1990. Fu Manchu est en fait l’émanation d’un précédent groupe appelé Virulence, créé en 1985 et officiant dans un registre typiquement hardcore. Au cours de son existence, Fu Manchu commet régulièrement des albums (une dizaine à ce jour) et le personnel a pas mal changé au début. On se souvient entre autres de Ruben Romano (batterie) et Eddie Glass (guitare), qui figurent sur les trois premiers albums et qui partent ensuite former Nebula en 1997, au moment où Fu Manchu prépare “The action is go”. C’est ainsi que cet album met en lice une nouvelle équipe autour de Scott Hill, avec Bob Balch (guitare), Brad Davis (basse) et le mythique Brant Bjork à la batterie (ex-Kyuss). Ce dernier quitte Fu Manchu en 2001 et est remplacé par Scott Reeder (homonyme du Scott Reeder ayant joué de la basse dans Kyuss, Unida ou Goatsnake mais n’ayant aucun rapport avec lui). Depuis lors, Fu Manchu tient la barre avec de récents bons albums, comme “Signs of infinite power” (2009) et surtout “We must obey” (2007). Pour relancer une carrière en recherche d’une énergie renouvelée, l’idée de reprendre entièrement “The action is go” est tout à fait sympathique et augure de grands moments sur scène.

Ce 12 octobre, c’est la fin de la tournée que Fu Manchu a effectuée en compagnie des petits jeunots de The Shrine, et tout cela tombe à pic puisque ce dernier concert va faire office de feu d’artifice final, d’apocalypse de salon à l’usage des ménages méritants et de déflagration finale dédiée à l’endurance et au talent des gros durs de Fu Manchu. Cerise sur le gâteau, le concert d’Anvers est complet, ce qui signifie que la salle du Trix comprend exactement 432 personnes ce soir (c’est le chiffre maximum qui est indiqué à l’entrée du club). Mais ces 432 vont compter au moins pour le triple, vu l’énergie dégagée par le public pour accueillir et fêter les hommes de Fu Manchu.

Il faut aussi dire que cet enthousiasme est généré par les trois lascars de The Shrine qui ouvrent le bal à 20h30 tapantes. Ce petit groupe de Venice Beach, banlieue de Los Angeles, sort un premier album vraisemblablement fabriqué dans la cave de la grand-mère du guitariste, vu l’aspect primitif de l’objet dont je fais l’acquisition au stand du merchandising pour la modique somme de 5 euros. Cela tombe bien, le titre de l’album est justement “Primitive blast”. Et du primitivisme, il va également en être question sur scène avec un set de trente minutes bien dévastateur et parsemé de bombes artisanales, à savoir l’intégralité des titres de ce premier album. Les responsables en sont un grand guitariste chevelu portant un tee-shirt Slayer et triturant une Gibson Flying V de compétition, un petit bassiste hirsute habillé d’un tee-shirt Valient Thorr et faisant vrombir une Fender Bass qui remonte à l’époque de Noel Redding, et enfin un batteur maintenant en place son crâne chevelu à l’aide d’une casquette et passant sa colère sur un kit de batterie aussi rudimentaire que redoutable. Ces braves gamins sont sans aucun doute recherchés par le syndicat des coiffeurs car ils n’ont plus été mis en présence d’une paire de ciseaux et d’un peigne depuis au moins quinze ans. Mais on oubliera facilement ces peccadilles face au set brutal et enthousiaste qu’ils nous placent entre les yeux. Le chanteur guitariste monte volontiers au créneau, ce qui signifie le bord de scène avec moi juste en face, essayant en permanence d’éviter les coups de manche de sa guitare. The Shrine commet un set tout à fait efficace, à la rugosité électrique basée sur un stoner hardcore pas très éloigné de Valient Thorr ou –oserais-je, oui – les cannibales d’Orange Goblin. Lorsque le bassiste entame un solo à la fin du show et se rapproche de son camarade guitariste pour jammer, je dois éviter maintenant deux manches de guitares prêts à m’ouvrir l’arcade sourcilière.

Cette excellente première partie laisse un public bien chaud prêt à recevoir l’eucharistie métallique de Fu Manchu, qui paraît sur scène à 21h30. Scott Hill porte son désormais légendaire ensemble polo à rayures, pantalon ample et espadrilles, façon surfeur au repos. Il s’est débarrassé de deux bons tiers de sa chevelure, ce qui le fait ressembler à un agent d’assurance en vacances sur la Costa Brava. Mais question agilité sur scène et fabrication de riffs nucléaires, il n’a rien perdu de sa superbe. À ses côtés, Bob Balch (guitare) assure des attaques en lead et en rythmique aussi ravageuses qu’une escadrille de bombardiers à basse altitude. De l’autre côté, un Brad Davis aussi chauve et glabre que Balch est chevelu et barbu émet des ondes de basse capables de fissurer les bunkers survivants du Mur de l’Atlantique. Et au fond, planqué derrière une demi-douzaine de fûts et autant de cymbales, Scott Reeder déploie une rythmique de forgeron ayant rencontré le Seigneur dans une caisse à outils.

Question set list, c’est très simple : les quatorze titres de “The action is go”, sorti en 1997. Pour les ignorants qui auraient encore besoin d’ouvrir leur esprit avant la fin du monde, rappelons que “The action is go” est le quatrième album de Fu Manchu, qui perpétrait sans vergogne l’incendie provoqué par les roboratifs “No one rides for free” (1994), “Daredevil” (1995) et “In search of” (1996), authentiques Tables de la Loi en matière de stoner d’obédience Côte Ouest, c’est-à-dire les planches de surf, les bagnoles surboostées et les blondes siliconées plutôt que les mondes diaboliques lovecraftiens ou les univers parallèles générés par la fumette.

Le public, se sentant en confiance face à cette bande de gladiateurs confirmés de la paroisse stoner, va se lâcher dans des proportions atteignant le sublime. Quelques petits rigolos au look d’ingénieurs informaticiens vont décider le temps d’un soir de devenir des bêtes du po-go. Des blondinettes hurlantes viennent se vautrer sur les amplis de retour placés au bord de la scène, poussées par de grands hurluberlus à lunettes ayant décidé que ce soir, on oublie la fac de droit et on devient fou. Fu Manchu sent bien cette espièglerie animale surgissant du public et redouble d’efforts dans la fabrication de riffs thermonucléaires et de puissance décibélique interdite par la Convention de Genève. Les premiers temps du show sont très chauds, normal, on a affaire à des classiques du genre “Evil eye”, “The action is go”, “Anodizer”. On voit s’aplatir sur le public un solo de batterie herculéen de Scott Reeder et on continue de se prendre en pleine face des trucs en acier galvanisé illustrés par “Grendel, snowman” ou “Saturn III”. C’est au milieu d’un bain de sueur acidifiée par la bière que Fu Manchu conclue cette authentique razzia turco-mongole et réalise ici un des concerts les plus déments que j’ai pu voir d’eux.

J’ai juste le temps de choper la set-list avant que le rappel ne vienne achever les esprits en complète déshérence. Au programme, le démentiel “Hell on wheels” en provenance directe de “King of the road” (1999) lance une première salve, complétée par le désormais classique “Godzilla”, reprise du Blue Öyster Cult et qui est toujours la pièce maîtresse en final des concerts de Fu Manchu. À cette occasion, les types de The Shrine viennent beugler dans le micro et le petit bassiste termine même en crowd-surfing au milieu du public.

C’est tout pantelant et émerveillé que je sors de la salle, toujours confiant dans la puissance de Fu Manchu, qui reste le maître de ce stoner cool, californien et sans prise de tête qui aide à voir la grise Europe d’un autre œil.

Set list : Evil eye / Urethane / Action is go / Burning road / Guardrail / Anodizer / Trackside hoax / Unknown world / Laserbl’ast! / Hogwash / Grendel, snowman / Strolling astronomer / Saturn III / Nothing done // Rappel : Hell on wheels / Godzilla

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