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Motörhead : un boucan à réveiller les morts

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Les jeunes Anglais de Diaries Of Hero et les thrashers vétérans d’Anthrax, embarqués par le mythique Motörhead dans son The Wörld Is Ours Tour 2012 ont fait, ce mardi 21 novembre, une bruyante escale au Brielpoort de Deinze. Résumé des épisodes précédents :

Grisés par le succès qui avait été le nôtre lorsque (un peu par hasard, il est vrai) nous étions parvenus à résoudre l’intrigante ‘Affaire de l’Américain Saucisse’ (NDR : cliquez
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pour accéder à nos archives secrètes), nous avions décidé, Bernie et moi-même, de tirer un trait sur nos carrières de journalistes musicaux afin de consacrer le peu de temps qui restait avant la fin du monde à combattre le mal, la corruption et le vice. Nous inspirant de Sherlock Holmes, d’Hercule Poirot et de Nestor Burma, ces enquêteurs géniaux dont les aventures avaient bercé nos lectures adolescentes (NDR : ou leurs adaptations télévisées, dans le cas de Bernie qui, depuis la plus tendre enfance, souffre d’une allergie à tout ce qui concerne les choses de l’alphabet) nous avions fondé notre propre agence de détectives privés. Nous avions, d’emblée, refusé de ternir notre cause en répondant par la négative aux demandes d’enquêtes qui auraient pu nuire à la réputation d’honnêtes maris infidèles ou qui auraient pu se terminer par l’injuste incarcération passagère de sans-papiers n’ayant d’autre recours, pour nourrir leurs familles nombreuses, que de risquer l’électrocution en subtilisant quelques kilomètres de fil de cuivre au puissant lobby du chemin de fer. Tels les héros de Fringe, des X-Files et de Scooby Doo, nous avions décidé d’utiliser notre flair, notre sens de l’observation et notre esprit de déduction dans le but exclusif de résoudre les affaires les plus étranges et les mystères les plus sombres. Aussi, lorsque nous apprîmes que dans la bonne ville de Deinze, d’étranges vieillards chevelus, armés de puissants générateurs de décibels, s’évertuaient à réveiller les morts, notre sang ne fit qu’un tour. Enfin une enquête digne de ce nom pour l’agence ‘Bernock & Poivrot, Détectives Privés’ !

Chapitre I : L’odyssée

Nous n’avons pas encore atteint les lieux de l’infamie que déjà les forces du mal œuvrent contre nous. Un barrage placé sur l’autoroute qui doit nous mener à Deinze nous oblige à traverser la commune de Nazareth. Effrayé, sans doute par cette référence biblique, notre GPS s’affole, nous fait tourner en rond et nous mène jusqu’à un gigantesque boulevard au long duquel fleurissent mille lieux de perdition. Nos yeux sont à la fête. De part et d’autre de la rue, de jolies maisons sont ornées de lumières roses chatoyantes et flanquées d’enseignes aux noms romantiques : ‘Kiss Me’, ‘Blue Aphrodite’, ‘Amour’, … ‘Shanghai Wok’. Protégées du froid par d’imposantes fenêtres aux doubles vitrages, de fragiles nymphettes, trop légèrement vêtues pour la saison, sourient, dansent et nous lancent des signes amicaux. Hypnotisé par les regards bleutés et les longues toisons dorées, je presse Bernie d’arrêter son véhicule. La main posée sur la svastika qui lui sert de crucifix, notre punk tente de me ramener à la raison en me balançant une sainte prière : ‘t’as pas de fric ducon’ !

La crise financière et le vague souvenir de foyers heureux nous ayant aidé à résister à l’appel des sirènes, nous poursuivons notre course folle et arrivons enfin aux portes de Deinze.

Chapitre II : Aux portes de l’enfer

Pour célébrer la venue de Lemmy et de ses apôtres, le mythique Brielpoort affiche complet. Heureusement, nous avons déboursé à l’avance les quarante deniers d’argent donnant accès à l’enceinte païenne et nous sommes confiants. Les places de parking sont chères mais Bernie a du flair et nous n’avons que quelques mètres à parcourir à pied avant de pouvoir nous mêler à la foule des fidèles. Les créatures infernales qui ont ralenti notre course nous ont privés du début de la prestation de Diaries Of Hero. Qu’à cela ne tienne, le métal alternatif plutôt banal des Londoniens ne nous fait aucunement regretter le rinçage oculaire coupable, mais hautement agréable, qui nous a mis en retard. Appliquant à son compte les principes de déduction enseignés par Sherlock Holmes, Bernie ne met pas longtemps pour découvrir qu’il suffit de suivre le flux inverse des gobelets de Maes Pils qui filent vers le centre de la salle pour trouver l’endroit où se situe le bar. Après d’angoissantes minutes d’attente, le keupon réapparaît tout sourire, les bras chargés de victuailles houblonnées.

Chapitre III : Pris dans un Mosh

Pour les avoir vus à plusieurs reprises au cours des glorieuses années quatre-vingt, nous avions le souvenir d’un Anthrax sautillant et ultra-remuant. Le show statique de ce soir nous rappelle que les eighties sont loin et que nos héros aussi peuvent souffrir d’arthrose. Mais tout n’est pas négatif dans la prestation du thrasher New Yorkais, bien au contraire. Car ce qu’il a perdu en mobilité, il le rattrape en puissance de feu et surtout en justesse pour Joey Belladona, qui chante, à notre avis, bien mieux aujourd’hui que par le passé. “Caught In A Mosh” marque le début des hostilités, suivi de près par un “Fight ‘Em ‘Til You Can’t” extrait du dernier album en date (“Worship Music”, 2011). De manière étonnante, la cover d’“Antisocial” (Trust) remporte un franc succès auprès du public néerlandophone qui reprend à tue-tête l’hymnique ‘You’re Anti… Antisocial’. Scott Ian, Frank Bello et Rob Caggiano semblent rivés aux planches et ne bougent pas d’un millimètre. Peu importe. Le parterre est constitué de convaincus que la rafale d’hymnes (“Indians”, “Madhouse” et “Death Rider”) transforme rapidement en meute furieuse. L’utra-heavy “In The End” sert, quant à lui, de prétexte à rendre hommage aux regrettés Ronnie James Dio et Dimebag Darrell dont les portraits géants sont déployés de part et d’autre de la scène. La reprise de l’amusant “Got The Time” de Joe Jackson (NDR : qui apparaissait déjà sur l’album “Persistence Of Time” de 1990 et le classique “I Am The Law” de 1987 mettent un point final à une prestation que chacun, autour de nous, s’accorde à trouver trop courte.

Chapitre IV : Les morts dansent

Nous profitons de la convergence massive du public vers le bar pour nous frayer un chemin vers l’estrade où, dans quelques instants, Saint Lemmy fera danser les Zombies. Des Zombies ? Eh oui, le public qui, comme nous, profite de la pause pour s’approcher de la scène n’est pas vraiment de toute première fraîcheur. Et bien qu’il ait passé la barre de la quarantaine depuis quelques années, l’ami Bernie, fringuant comme un gardon dans son t-shirt Motörhead flambant neuf, pourrait très bien passer pour un jeune premier à côté de nos compagnons d’un soir. N’écoutant que notre envie de comprendre le mystère qui nous a menés jusqu’ici, nous sommes parvenus à nous glisser jusqu’au second rang. Grossière erreur !

En martelant sur son antique basse distordue les premiers accords du terrible “I Know How To Die”, Lemmy réveille d’un coup la meute de morts vivants qui nous encercle. Poussés par un terrible instinct, les cadavres ambulants se ruent vers nous, pétrissant de leurs coudes, de leurs genoux et de leurs têtes baveuses notre chair fraîche et tendre. Mais, nous ne sommes pas les seuls à subir ce traitement infernal. Ce sont carrément les dix premiers rangs qui sont malmenés. Les corps virevoltent et décollent sous le flux de décibels. Bien que nous soyons en première ligne, les mouvements de la foule nous empêchent d’assister sereinement à la Grande Messe. Nous tenons bon, quelques minutes encore, encaissant les coups au rythme de “Damage Case” et “Stay Clean”. Nous profitons de la sournoise accalmie générée par “Metropolis” pour battre en retraite et nous réfugier quelques mètres derrière, à l’endroit où les damnés, affaiblis par l’abus d’alcool, ne secouent les vertèbres que pendant les quinze premières secondes de chaque titre.

Si nous subissons encore l’overdose de décibels (NDR : Motörhead joue décidément très fort], nous pouvons maintenant profiter d’une vue panoramique. La musique du trio n’a pas pris une ride, mais nous constatons avec tristesse que le temps rattrape ce Lemmy que nous avions cru immortel. Enfoncée dans les épaules, la tête du pionnier de la musique brutale semble avoir bien du mal à porter l’immense stetson de l’armée nordiste américaine qui lui sert de couvre-chef. Malgré un visage fatigué, le chef de meute a gardé toute sa hargne, et sa gorge qu’aucune pastille Valda n’est jamais parvenue à adoucir éructe sans faiblir. “Over The Top”, “Doctor Rock”, “Rock It”, “The Chase Is Better Than The Catch”, “The One To Sing The Blues”, “You Better Run”, “Going To Brazil”. Les classiques s’enchaînent entrecoupés de la jolie divagation solitaire d’un Phil Campbell majestueusement armé d’une guitare lumineuse et par l’assourdissante démonstration de broyage de fûts organisée par un Mikkey Dee plus colérique que jamais. ‘Here is a song that we managed to fuck up all over the years’ (NDR : Voici une chanson que nous avons réussi à foutre en l’air au fil des années) éructe Lemmy avant d’entamer un “Ace Of Spades” qui fait instantanément redoubler l’offensive des zombies sur l’avant du parterre. ‘C’était notre dernier titre’ avoue le hurleur sous les huées de la foule, avant de préciser : ‘Mais vous connaissez le truc, si vous criez, on revient’. Hypnotisés et envoûtés par la cérémonie rituelle à laquelle nous venons d’assister, nous crions aussi fort que les autres damnés. Motörhead tient sa promesse et réinvestit la scène après quelques minutes pour interpréter une reprise du classique “Are You Ready” de Thin Lizzy et, en apothéose finale, l’“Overkill” que tout le monde attendait.

Epilogue

Les lumières rallumées dévoilent une armée de sourires radieux. Avons-nous rêvé ? Les morts vivants étaient-ils réellement de la partie ? Avons-nous subi une hallucination collective ou avons-nous, depuis le début, été joués par les tours du Malin ?

Le dénouement de l’affaire nous plonge dans le doute. Comme l’a écrit un jour le poète américain Tom Araya dans l’une de ses œuvres, “Evil Has No Boundaries”… Le mal n’a pas de limites. Serons-nous assez fort, Bernie et moi, pour affronter à nouveau les puissances maléfiques ?

Suite au prochain numéro.

One thought on “Motörhead : un boucan à réveiller les morts

  • Michel, après l’Américain Saucisse de Raismes, ici le concert de Motorhead. Ton compte rendu est à tuer et surtout criant de vérité. J’y étais, j’avais heureusement gagné deux places avec Live Nation. Du bonheur bien sûr, mais que de bruits. J’étais près de la table de mixage, je les ai vus en 1992 à Forest National, mes oreilles en ont pris un coup. Mon fils était présent et découvrait. Du bonheur pour lui, Lemmy était égal à lui-même. Mais les amplis étaient là et comme en 1992, du bruit.

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