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La folie sonore de Ty SEAGALL frappe l’Atelier 210 de plein fouet

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Programme plus que chargé ce vendredi 30 novembre à l’Atelier 210. Jugez plutôt ! À l’affiche, il y avait Ty Seagall, White Fence et Feeling Of Love. Il ne faut jamais désespérer, tout peut toujours s’arranger. La preuve avec notre bon vieux rock ‘n’ roll qui semble ces temps-ci redonner quelques signes encourageants de reprise du combat. Depuis 2005, j’avais flairé le repli de cette phase magnifique qu’avait été le début des années 2000, lorsque The White Stripes, The Strokes, The Hives, The Vines, The Libertines et autres The Dirtbombs ou The BellRays, la fine fleur de ce qu’on avait appelé les groupes en The, avaient à nouveau botté les derrières et mis fin à dix ans de soupe populaire née de la disparition de Nirvana. Puis il y eut de nouvelles années de vaches maigres qui virent se développer des flopées de petits groupes aussi insipides qu’efféminés, au succès aussi insolent qu’immérité. Mais, comme dans la théorie des cycles, les choses semblent se remettre au beau avec l’arrivée d’une nouvelle scène californienne vouant un culte au garage rock psychédélique volontiers couillu qui s’illustre en ce moment avec des groupes comme Thee Oh Sees, The Drums, Wounded Lion, The Intelligence, et dont Ty Seagall pourrait bien faire office de meneur.

Retenez le nom de ce blondinet perpétuellement souriant car il est depuis cinq ans l’activateur d’une scène garage psych qui rend directement hommage à ses ancêtres des Seeds ou des Thirteenth Floor Elevators mais qui a su transcender ses influences pour mettre sur le tapis une musique à nouveau vivifiante, débordante d’idées et libérée des carcans du gros business. Seagall chante tout l’été, tout l’hiver et il sort des albums comme s’il en pleuvait : “Horn the unicorn” (2007), “Ty Seagall” (2009), “Lemons” (2009), “Melted” (2010), “Goodbye bread” (2011), “Twins” (2012), sans parler de “Slaughterhouse” avec son Ty Seagall Band et ses nombreuses participations à des groupes parallèles comme The Perverts, Sic Alps, Epsilons, Party Fowl ou The Traditional Fools, sur lesquels on retrouve parfois son camarade Mikal Cronin avec qui Seagall a fait un album commun en 2009.

Il est urgent de voir Ty Seagall dans une petite salle au moment où il monte en puissance car on pourra frimer plus tard quand celui-ci passera dans des salles géantes ou des festivals gigantesques et qu’il ne sera plus accessible. On peut maintenant épater la galerie en disant qu’on a vu Ty Seagall sur la scène de l’Atelier 210, une petite salle qui se situe à deux pas du Parc du Cinquantenaire à Bruxelles, lieu idéal lorsqu’on sort directement du bureau et que l’on se précipite au concert. J’ai bien fait d’acheter mon billet quelques jours à l’avance car le show de ce soir affiche complet, ce qui veut dire qu’il y a presque 400 personnes venues s’amonceler dans cet endroit que je n’avais encore jamais fréquenté mais qui devrait être appelé à de grandes destinées.

Il y a trois groupes ce soir et on ne va pas se plaindre, d’autant que les préparatifs menés par The Feeling Of Love et White Fence vont dérouler un magnifique tapis à Ty Seagall. The Feeling Of Love, tout d’abord, est un groupe lorrain en provenance de Metz et il joue un rock psychédélique noisy qui chasse sur les terres du Velvet Underground, de Love ou du Pink Floyd estampillé 1967. L’insidieux orgue Farfisa qui vient s’incruster dans les oreilles renvoie tout le monde dans le Summer Of Love mais les constructions hypnotiques et tendues du groupe savent s’accommoder d’une certaine modernité. Bien sûr, le psychédélisme au 21e siècle, c’est un peu comme une bande de baba cools perdue au milieu d’un camp d’entraînement d’Al-Qaïda en Afghanistan mais il ne faut pas se laisser démonter pour autant et The Feeling Of Love a bien raison de tenter de réintroduire cet animal musical extraordinaire qu’était le psychédélisme Sixties, trop vite tué par les claviéristes bouffis du rock progressif intello, eux-mêmes dévorés par les punks bas du front à la fin des années 70.

Le public ne s’y trompe pas et est déjà bien chaud quand White Fence monte sur scène vers 21h. Ce groupe vient de Californie et ses membres sont bien sûr des potes de Ty Seagall, un album commun sorti cette année en témoigne. Le credo de ce groupe est solidement ancré dans la défense d’un psychédélisme garagisant resté coincé en septembre 1967, date où régnaient les Byrds de l’époque “Fifth dimension”, les Love de “Forever changes” ou les Thirteenth Floor Elevators de “Easter everywhere”. Il est quand même merveilleux de voir que des gamins à peine nés au début des années 90 se sont naturellement tournés vers le psychédélisme, la plus belle chose qui soit arrivée à l’humanité avec la roue dentée et le dentifrice parfumé à la fraise. Les White Fence en sont à leur quatrième album et ont sorti la moitié de leur discographie cette année, avec un “Family perfume” commercialisé en deux parties. Mais ce sont surtout les deux premiers “White Fence” (2010) et “Is growing faith” (2011) qui vont servir de fondement à la set list de ce soir. Sur scène, un chanteur au look quelconque tient une Fender Jazzmaster bien collée contre sa poitrine, position haute qui était caractéristique chez les groupes des années 60. À gauche de la scène, un chevelu blond en chemise rouge manipule une Gibson Thunderbird blanche de toute beauté, tandis que le bassiste est au centre et déploie des lignes en provenance directe de la planète Mars. De redoutables transes tantriques emportent le public qui devient fou. Je commence à sentir les premiers po-goteurs qui viennent s’écraser contre mon dos, qui va être mis à rude épreuve pour le reste de la soirée. Une telle ferveur est bien sympathique mais elle est un peu décalée par rapport au message musical de White Fence, à savoir un psychédélisme qui devrait s’écouter enveloppé dans un nuage de haschich en relisant Herman Hesse. Mais la jeunesse actuelle n’a plus de manières, et elle est d’autant plus énervée qu’elle n’a plus le droit de fumer dans les lieux publics.

Et ce n’est pas avec Ty Seagall que la tempête va se calmer, vous pouvez me croire. Mais avant cela, il faut attendre la mise en place des instruments et le réglage des amplis, effectués par les hommes de Ty Seagall et Ty Seagall lui-même. L’armée de 250 roadies, c’est pour quand il aura pris la place des Rolling Stones la décennie prochaine. Enfin, je parle des hommes mais c’est ici négliger la présence d’une batteuse, mystérieuse et envoûtante brune anguleuse directement sortie d’un film gothique des années 30. Et toute cette bande de freluquets ouvre les vannes du son total à 22h20. Le public s’embrase comme un camion-citerne conduit par Mad Max et sa furie se manifeste par une profusion de po-gos en tous genres et de stage diving quasi-permanent. Un type vient même embrasser Ty Seagall sur la joue avant de se jeter dans la foule, transformée pour l’occasion en masse de chair en fusion. On sent ce soir un public qui mugit de bonheur à l’idée de la confrontation avec le rock authentique et rustique de Ty Seagall, comme si toutes ces années de privations l’avaient rendu intolérant à la médiocrité et férocement en manque de rock ‘n’ roll pur jus.

Ty Seagall et sa bande semblent fort bien s’adapter à ces conditions de guerre et alignent une set list d’une incroyable efficacité. La base, ce sont les albums “Twins” et “Slaughterhouse” de 2012 mais Ty et ses sbires revisitent aussi quelques titres de “Melted” ou de l’album éponyme de 2008. Ty excelle sur les solos distordus, effectués sur une Fender Jazzmaster sans doute volée aux Electric Prunes. Son visage rondouillard de surfeur blond à l’œil béat cache un véritable génie du son et des ambiances psychédéliques lourdes. Le garage retrouve ici tout son éclat. Oui, Mesdames et Messieurs, le garage rock n’est pas un vague concept inventé à la fin des années 90 par les White Stripes, c’est un truc qui sévissait déjà en 1966 avec d’improbables combos répondant aux doux noms d’Alarm Clocks, de Jesters Of Newport, de The Fabs (dont le “That’s the bag I’m in” a d’ailleurs été repris par Ty Seagall sur “Slaughterhouse”, ce qui termine de faire de ce musicien un authentique homme de goût), Larry & The Blue Notes, Sir Winston & The Commons, sans parler des Sonics, Count Five, Remains, Electric Prunes, Seeds ou Shadows Of Knight qui sont une goutte d’eau dans l’océan des groupes garage punk américains des Sixties. Mais ici, la coupe de cheveux au bol et les costumes cintrés à quatre boutons sont remplacés par des chemises à carreaux et des cheveux crasseux, comme une rencontre entre le grunge de Nirvana et les sonorités vicelardes du Chocolate Watchband ou des Thirteenth Floor Elevators.

Vous l’aurez compris, Ty Seagall est un de ces nouveaux réanimateurs de la bête rock et les ruines fumantes qu’il laisse après son passage à Bruxelles sont là pour en témoigner. J’ai juste le temps de récupérer la set list écrite sur un morceau de caisse en carton avant que le groupe ne revienne pour l’estocade finale avec un rappel de deux titres qui comprend notamment la reprise du “Feel like making love” de Bad Co. Alors, non seulement Ty Seagall est un fin lettré en matière de psychédélisme déviant mais il pratique aussi à loisir le hard rock classique des Seventies. Ty est décidément le musicien de taille dont les mains expertes et les muscles solides remettent la machine à vapeur du rock authentique sur les rails. Il était temps. Coldplay, prépare-toi à mourir !

Set list : Thank God for sinners / You’re the doctor / I bought my eyes / Standing at the station / Finger / Girlfriend / Imaginary person / Cents / Wave goodbye / Tell me what’s inside your heart / Handglams / My head explodes / Skin / Caesar / Pretty baby (you’re so ugly) / Oh Mary / Inside your heart // Rappel : ? / Feel like making love

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