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MUSE à Anvers : la tournée des confiseurs

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Ils l’ont fait. Un véritable exploit. En pleine crise du disque, à l’heure des pluies incessantes sur nos oreilles de milliers de groupes tout aussi interchangeables les uns que les autres, Muse a commis l’exploit de devenir l’un des plus grands groupes du monde, et cela en une petite dizaine d’années. Et si ça continue, Muse pourrait bien devenir le plus grand groupe du monde, dans un domaine qu’on espère encore du registre de la taille plutôt que de la qualité musicale intrinsèque. Il est loin le temps où Matthew Bellamy (guitare et chant de premier communiant hémorroïdaire, sans parler du piano à queue), Chris Wolstenholme (basse) et Dominic Howard (batterie) écumaient les petits clubs du Devon en 1997, où ils opéraient sous le nom de Gothic Plague, tout un programme. Il est loin le temps du premier album “Showbiz” (1999) qui avait déjà fait l’objet d’une percée remarquable, digne de Guderian fonçant à travers les Ardennes. C’est à cette occasion que j’avais pu voir Muse ouvrir pour les Foo Fighters, qui eux-mêmes ouvraient pour les Red Hot Chili Peppers à Bercy. Une autre époque.

Aujourd’hui, les Foo Fighters seraient tolérés dans les loges de Muse pour y faire le ménage et les mecs des Red Hot serviraient de roadies pour installer le matos juste avant les concerts. Muse est effectivement devenu énorme, mais pas par le biais d’un développement par le haut, façon érection d’un gratte-ciel. Le développement de Muse, c’est plutôt tous azimuts, comme un ballon devenant peu à peu gigantesque, gonflant comme une baudruche et étouffant tout sur son passage, critiques comme auditeurs, qui se rangent tous derrière son sillage avec l’admiration béate du rat suivant le joueur de flûte sans chercher à comprendre. À force de travail et d’endurance, servi par l’incroyable talent technique de ses musiciens, aidé par la vision artistique de Matthew Bellamy, aussi laid et malingre qu’il est doué, Muse a escaladé avec détermination les échelons qui mènent du groupe local au combo qui traite désormais d’égal à égal avec Paul McCartney et Mick Jagger.

À l’heure du toujours difficile sixième album, Muse se présente à nouveau à son public avec la fierté du conquérant et l’assurance des stars arrivées. Mais au fait, ce sixième album “The 2nd law”, mérite-t-il tant d’éloges ? On arrive ici au stade où Muse est tellement énorme qu’il se retrouve face au risque de l’indulgence envers lui-même et de l’auto-caricature. Grandeur et ambition démesurée viennent en effet régner sans partage sur ce disque, qui sent quand même un peu la redite par rapport aux œuvres précédentes. Quelques titres babyloniens trahissent une construction bancale entre du Led Zeppelin kashmirien, du générique de James Bond et un hard rock servi avec trois couches de crème chantilly (“Supremacy”). Pour ceux qui en ont marre du heavy rock, il y a du dubstep, ce qui ne va sans doute pas être mieux (“Madness”, “The 2nd law : unsustainable”). Vous préférez le rock disco à la Queen ? Pas de problème, “Panic station” est là pour satisfaire vos penchants malsains. “Prelude” pourrait sans problème figurer au générique d’un mélo anglais des années 40 et “Survival” est queenesque jusqu’au bout des ongles. Cessons de plaisanter : cet album est quand même formidablement indigeste, bien que quelques téméraires ayant écouté le disque en boucle une douzaine de fois au risque de mettre leur santé mentale en danger viennent affirmer qu’il y a du fond dans “The 2nd law”.

La polémique peut faire rage quand il s’agit d’évaluer l’œuvre studio de Muse mais une chose est sûre : ce groupe est suprême en concert. Et le concert du Sportpaleis d’Anvers s’en va le démontrer. Mais pour arriver sur les lieux, il faut d’abord se farcir une circulation dantesque aussi congestionnée qu’un solo de guitare de Matthew Bellamy. Je me retrouve garé dans un parking proche du Sportpaleis mais dont je ne sais pas encore qu’il sera un véritable piège au moment de la sortie trois heures plus tard. Ayant eu la chance d’être repêché sur la liste d’attente parmi les milliers de candidats spectateurs n’ayant pas pu avoir un billet du premier coup, je suis en fait placé à l’arrière de la scène, en tribune. Un lieu idéal pour avoir une bonne vue plongeante et voir les musiciens de dos face à la foule, cette mer de gens qui donne le vertige. La vue que nous avons là est saisissante, elle permet de comprendre la décharge d’adrénaline qui frappe les musiciens quand ils se retrouvent face à une telle marée humaine, entièrement soumise à leurs moindres caprices et prête à tout pour servir leur délire. C’est une localisation intéressante pour repérer comment la scène fonctionne de l’intérieur. On voit un ascenseur qui amène le matériel, comme sur les porte-avions.

Ce qui est beaucoup moins intéressant, c’est le concert de première partie signé Andy Burrows, ancien batteur de Razorlight qui sort cette année un album solo. Razorlight était le groupe qui a ouvert pour Muse lors de sa tournée de l’automne 2006, ce qui démontre bien la collusion existant entre Matthew Bellamy et ses sbires et ce groupe anglais à la mièvrerie toute rassurante. Andy Burrows nous sort un show acoustique, avec des chansons qui ressemblent à des reprises des Eagles. Il y avait déjà des Eagles, ce n’était pas la peine d’en rajouter dans le registre rock FM gentil et inoffensif.

Remarquez, il y a déjà eu Queen, ce qui n’empêche pas Muse de chausser sans vergogne les bottes laissées vides de Freddie Mercury et Brian May. Le show commence vers 21 heures 30 et les deux heures qui vont suivre vont tout simplement être gigantesques. Le trio du Devon, aidé en douce par un claviériste non reconnu par les assurances sociales, nous sort ni plus ni moins que le grand jeu. Le public du Sportpaleis (au bas mot 20 000 personnes ce soir) se retrouve introduit dans les couloirs de la maison de Hansel et Gretel, toute de sucreries construite et dégoulinant de calories sonores dignes de faire passer la chocolaterie de Charlie pour un centre de diététique éthiopien. Les pâtissiers fous de Muse montent une pièce musicale incommensurable, babylonienne, hollywoodienne. La recette est composée d’une majorité de titres de “The 2nd law” et de quelques survivances de “Black holes and revelations” (2006), album qui avait imposé Muse comme le grand prétendant au trône du rock anglais. On trouve en fait tous les albums de la discographie de Muse représentés ici, puisqu’il y a toujours au moins un morceau de “Showbiz” (1999), “Origin of symmetry” (2001), “Absolution” (2003) ou “The resistance” (2009) pour faire de la set list de ce soir une sorte de best of pour tous les amateurs de gâteaux à la crème en gelée et de kouglof à la graisse d’ours que sont ces chers fans de Muse.

Dans cette cuisine aux dimensions démesurées, les hommes de Muse nous concoctent un show à faire pâlir de jalousie tous les aspirants artificiers et électroniciens qui cherchent à en mettre plein la vue à leurs contemporains. Un light show qui ferait passer les concerts de Rammstein pour une veillée aux chandelles vient frapper l’inconscient collectif et le système vidéo constitué d’une pyramide inversée est tout simplement à tomber par terre. De là où nous sommes, nous voyons bien que le batteur est une véritable bête et qu’il martèle ses fûts avec une rapidité et une finesse à laisser pantois. Son kit tourne à 360 degrés sur un plateau, ce qui lui permet de faire face de temps à autre au public de l’arrière. Matthew Bellamy a un mot en passant pour ce même public quand il court le long des travées arrière pour venir exécuter un solo roboratif ou pousser une gueulante d’éphèbe taraudé par une crise de paludisme. Mais ce n’est rien à côté de Chris Wolstenholme qui manipule des basses au manche lumineux et qui vient écraser le public sous la chape imparable de son instrument. De temps à autre, l’ascenseur remonte un piano à queue transparent qui émet des flashes lumineux quand Matthew Bellamy appuie sur les touches.

C’est du Grand Guignol, de la pâtisserie livrée par camions entiers, de l’indigestion gargantuesque de milliards de calories sonores enveloppées dans du papier phosphorescent rose bonbon. Mais le pire, c’est qu’on en redemande, comme ces bons vieux gâteaux à la fraise dont on est sûr qu’ils vont vous refiler la colique mais à qui on est incapable de résister. Avec un répertoire presque entièrement axé sur “The 2nd law”, le show de Muse prend des aspects jusqu’au-boutistes dans la goinfrerie, indépassables dans la gourmandise et dans l’indigestion. Tout est outrancier, démesuré, incontrôlable mais en même temps bordé par un professionnalisme incontestable, comme cette introduction basée sur une reprise de “L’homme à l’harmonica” d’Ennio Morricone, qui lance peu après un “Monty jam” révérencieux. Au passage : Ennio Morricone, un géant de l’émotion pure, à côté de qui les Muse ne sont que des nains froids et technocratiques. Lorsqu’arrive le dévastateur “Stockholm syndrome”, le show principal touche à sa fin au milieu d’un déluge de lumières. La pyramide géante descend alors sur le groupe pour le recouvrir lors du premier rappel, notamment enjolivé de l’imparable et dansant “Uprising”, un appel à la révolution bien étonnant de la part de musiciens désormais quasi milliardaires. “Starlight” et “Survival” constituent le deuxième rappel qui se termine sous un jaillissement de fumées blanches entourant le groupe, sous les ovations démentes d’un public s’étant régalé de la pâtisserie de Muse, déconseillée par tous les diététiciens mais tellement irrésistible au final.

Il va en falloir, des séances de gym, pour digérer toute cette surenchère de boustifaille cuisinée à la graisse de bœuf. En langage rock, ça s’appelle des séances de Motörhead pendant trois semaines, histoire de retrouver la ligne d’antan. Mais Muse, c’est comme le McDo : c’est immangeable, mais qu’est-ce que c’est bon !

Set list : The 2nd law: unsustainable / Supremacy / Bliss / Panic station / Map of the problematique / Supermassive black hole / Animals / Knights of Cydonia / Man with a harmonica (intro) / Monty jam / Explorers / Sunburn / Time is running out / Liquid state / Madness / Follow me / Undisclosed desires / Plug in baby / Stockholm syndrome // Rappel 1 : The 2nd Law: Isolated system / Uprising // Rappel 2 : Starlight / Survival

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