MONSTER MAGNET ressuscite son premier album à l’Ancienne Belgique
Vite, plus que quinze jours avant la fin du monde, il va falloir se dépêcher pour voir quelques derniers concerts avant de finir dans une forêt à manger des racines et chasser des écureuils. Et afin d’échapper aux vicissitudes de la vie terrestre, quoi de mieux qu’un petit voyage dans le cosmos avec ces extra-terrestres de Monster Magnet ? En première partie : My Sleeping Karma. Monster Magnet est l’un des premiers groupes de stoner américain à être apparu à la fin des années 80 commence à être bien connu des services. On dira pour simplifier que le combo de Dave Wyndorf (ex-Schrapnel, obscur groupe hardcore de la fin des années 70) peut prétendre à rester dans l’histoire pour quelques albums bien juteux d’acid-rock viril, dont “Spine of God” (1991) et “Dopes to infinity” (1995) restent parmi les fleurons du genre. Le bon Dave Wyndorf, qui commençait à décrocher un début de pompon vers la gloire avec l’album “Monolithic baby” en 2004, n’a pas pu résister à l’acte manqué qui a ramené son groupe dans un quasi-anonymat en se prenant en 2006 une bonne overdose ayant failli l’envoyer sur les terres de ses ancêtres. Rangé des rails de coke et des pelletées de pilules, le chanteur a pris un certain temps pour se remettre à niveau et on a à nouveau entendu parler de Monster Magnet en 2007 et 2010, respectivement avec les albums “4 way diablo” et “Mastermind”.
Mais il semble que ces temps-ci, Dave Wyndorf ait eu envie de faire table rase du présent et de se replonger dans les débuts de Monster Magnet, avec cette tournée qui ne promeut pas de nouvel album mais sert à la réinterprétation de la totalité de l’album “Spine of God” de 1991. En ce sens, Monster Magnet sacrifie à cette nouvelle mode qui consiste à revenir sur le détail d’un album du glorieux passé et de le rejouer en intégralité sur scène. Bienvenue donc à Monster Magnet dans le club des résurrectionnistes de leurs propres œuvres, où siègent Killing Joke, Rush, Metallica, Jethro Tull, les Damned et sans doute bien d’autres. L’autre point notable à signaler au sujet de l’actualité récente de Monster Magnet est le départ en 2010 du guitariste Ed Mundell, ce qui constitue une véritable tragédie pour ceux qui avaient l’habitude d’apprécier la présence de ce blondinet longiligne, toujours prompt à décocher des riffs et des solos à fragmentation lourde. Le bon Ed Mundell a préféré poursuivre des expériences solos et il se voit désormais remplacé par un certain Garrett Sweeney, inconnu au bataillon.
Monster Magnet est arrivé en Europe à la fin du mois de novembre et a consciencieusement ravagé quelques villes anglaises et allemandes avant de faire un crochet par l’Autriche et la Suisse et finalement atterrir en Belgique et aux Pays-Bas, les deux dernières étapes de son périple. Monster Magnet est un habitué de l’Ancienne Belgique, où j’ai pu le voir à l’œuvre en 2004 et 2008. Jamais deux sans trois, comme on dit, et me voilà devant la porte de l’AB, bravant le froid et l’humidité de ce sympathique automne belge, tout en neige et en glaciation précoce.
Une fois au chaud, on commence les opérations de dégivrage avec My Sleeping Karma, combo allemand versé dans le psychédélisme hindouiste qui accompagne Monster Magnet sur sa tournée afin de venir défendre son dernier album en date, “Soma”. Je n’ai pas eu l’occasion d’écouter cet album mais je sais, à l’écoute du précédent disque “Tri” (2010), que ce quatuor bavarois a toutes les cartes en main pour propulser son auditoire dans les vallées profondes d’une musique méditative et incantatoire. Et ça ne manque pas d’arriver avec le show de ce soir, qui met en scène quatre types dont les aspirations mystiques tranchent étrangement avec le look de bûcherons tout droit sortis d’un film de Bud Spencer et Terence Hill. Un fort des halles barbu en débardeur lance des riffs de guitare astraux qui sont récupérés par un bassiste hirsute à casquette tenant son instrument à ras de terre, tandis qu’un petit batteur au faciès de garçon coiffeur napolitain travaille consciencieusement ses fûts, sous le regard hébété d’un claviériste perpétuellement vautré sur ses touches. Tout en ondes sonores éthérées, en instrumentaux zoroastriens et en recherche d’un nirvana sonique, le concert de My Sleeping Karma se révèle sympathique mais je me demande si l’écoute en continu des quatre albums de ces gaillards ne risque pas de faire verser l’auditeur dans une irrémédiable neurasthénie.
Nous quittons la méditation transcendantale pour le combat cosmique avec le show de Monster Magnet qui débute à 20h30. On attend un peu car les roadies n’arrêtent pas d’accorder des dizaines de guitares et le groupe ne monte sur scène qu’une fois toutes ces guitares accordées. Et manifestement, cet arsenal de grattes n’est pas destiné à Dave Wyndorf qui attaque “Pill shovel”, premier morceau du set, avec une telle rage qu’il explose d’entrée de jeu sa corde de si. Il va rester avec cette corde flottante pendant tout le show principal, qui n’en sera pas affaibli pour autant. Car sur ses côtés, une bande de guitaristes chevelus usinent des riffs et des solos montés en série dans une fabrique de vaisseaux spatiaux ; sous le contrôle rythmique d’un bassiste émettant des vibrations lunaires et d’un batteur concassant ses tambours sous l’emprise de rayons gamma.
Ce qui rassure tout de suite, c’est la forme éclatante affichée par Dave Wyndorf. Le concert de Monster Magnet du 25 juin 2008 en ce même lieu, soit deux ans après l’overdose du chanteur, avait montré un Dave Wyndorf quasi-obèse, poussif, encore marqué par les traitements de cortisone qui l’ont aidé à sortir du traumatisme physique. Aujourd’hui, il a retrouvé sa morphologie d’antan, sa hargne des grandes heures. Le revoilà dans son perfecto graisseux, sarclant sa guitare Epiphone comme un maudit, lançant son groupe à l’assaut des morceaux grandioses de “Spine of God”.
C’est vrai que cet album est d’une importance capitale pour l’histoire du stoner. Lorsqu’il sort fin 1991 début 1992, il est pour ainsi dire le seul disque assemblant les éléments constitutifs du genre : rock lourd, psychédélisme déviant, space rock brut. Ceux qui germent en même temps que Monster Magnet sont Kyuss et Masters Of Reality, sur la côte Ouest des États-Unis. Le stoner naissant devra d’abord laisser la place au grunge sur le devant de la scène et une fois que Nirvana nous aura fait son petit numéro, il pourra bourgeonner tranquillement autour de Fu Manchu, Spiritual Beggars et autres, qui doivent toujours cependant un lourd tribut aux précurseurs de Monster Magnet.
Mais revenons sur scène car ce qui s’y passe est d’une importance capitale. Monster Magnet met la salle sens dessus dessous avec cette résurrection de “Spine of God” qui est tout simplement fantastique. Le public s’ébroue en sautillements divers et en danses de cabris survoltés. Le groupe capte l’atmosphère terrestre et transporte tout ce qui s’y trouve dans une orbite insensée faite de solos colossaux qui, par trois ou quatre fois, vont s’étendre sur des durées record. “Black mastermind”, par exemple, devient un cycle épique où toutes les guitares foncent tête baissée dans une jam plutonienne à la puissance d’évocation quasi-biblique : dix minutes de stoner metal cosmique absolument imparable, un moment crucial de l’histoire humaine, auquel n’assiste qu’un petit millier de spectateurs.
Mais la salle est en telle surchauffe qu’on se croirait assailli par des millions de danseurs en pleine perdition. Une Flamande quelque peu éméchée me propose de danser avec elle. Je me contente de lever un bras et de sautiller sur place afin de ne pas perdre mon précieux morceau de barrière qui me permet de lutter contre la tempête humaine qui se déchaîne derrière moi. Lorsque Monster Magnet attaque “Sin’s a good man’s brother”, reprise de Grand Funk Railroad qui figure sur “Spine of God”, la foule se soulève en une extase fracassée. Tout le monde est mûr pour recevoir la bénédiction ultime d’“Ozium”, morceau qui termine l’album et qui remporte les légions célestes là d’où elles venaient.
Ceux qui n’ont pas encore pu décoller vers Saturne ont une dernière chance avec le rappel, composé essentiellement de titres issus des deux premiers EP de Monster Magnet, toujours en 1990-91. On est donc toujours en pleine cure de jouvence pour Dave Wyndorf, qui continue de plus belle à lancer son groupe sur des routes insensées en termes de space rock riveté. Le nouveau guitariste Garrett Sweeney ne démérite pas, bien que son jeu de gratte soit quelque peu différent de celui d’Ed Mundell, que l’on peut légitimement regretter ici tout en se gardant de jeter la pierre à Garrett Sweeney qui, je le répète, est aussi un petit maître du solo coriace.
Après 90 minutes de guerre des étoiles, il faut malheureusement rentrer à la base et laisser le Captain Wyndorf et son équipe continuer la conquête de l’espace tous seuls. Enfin, il n’y a plus grand-chose à conquérir puisqu’une dernière ville figure sur la liste de la tournée européenne, Eindhoven. Monster Magnet a montré que même en fin de tournée, il a toujours de l’énergie pour offrir aux fans un grand concert dont il a le secret. Espérons revoir tout ce petit monde très bientôt pour la promotion d’un nouvel album ou l’exhumation d’une autre des classiques de Monster Magnet.
Set list : Pill shovel / Medicine / Nod scene / Black mastermind / Zodiac lung / Spine of God / Snake dance / Sin’s a good man’s brother / Ozium // Rappel : Lord 13 / Murder / Longhair / Tractor / Freak shop USA
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Photos © 2012 Alain Heymans