Cauchemar : gastronomie et métal véritable – l’avis éclairé d’Annick Giroux
Bien que leur groupe réponde au nom terrifiant de Cauchemar, Annick Giroux et François Patry ont choisi de faire de leur vie un rêve éveillé. De voyages en concerts et de rencontres métalliques en repas gastronomiques, ces sympathiques canadiens vivent leurs passions à fond ! Par souci d’authenticité, nous avons conservé, dans le texte, quelques tournures de phrases et expressions propres au français exotique de nos cousins du bout du monde. Une ‘entrevue’ à lire, de préférence, avec l’accent québécois !
MiB : Bonjour Annick, commençons par la traditionnelle question de début d’interview : Pourrais tu présenter Cauchemar à celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Annick Giroux : Cauchemar est un groupe de métal formé en 2007 à Montréal, au Québec. Lorsque nous avons besoin d’une étiquette, nous appelons notre musique du Heavy/Doom, parce que nous jouons un mélange inspiré de ces deux styles chers à nos cœurs. En 2010, nous avons enregistré notre premier EP de cinq chansons intitulé “La Vierge Noire”. Après quelques concerts au Canada, François et moi sommes partis faire un tour du monde qui a duré 18 mois. Au cours de ce voyage, nous avons fait des concerts en Colombie, au Chili, au Pérou, en Inde (tous ces shows ont été donnés avec l’aide de bassistes et de batteurs locaux). Lorsque nous sommes arrivés en Europe, les autres membres canadiens nous ont rejoints pour une tournée de 20 concerts – dont un à Bruxelles, et dans des festivals comme Keep it True!, Muskelrock, Heavy Days in Doomtown, etc. Pendant le voyage, surtout lorsque nous étions en Asie et en Amérique du Sud, nous avons profité de quelques passages dans des salles de pratique et dans des studios pour écrire les chansons de notre album “Tenebrario”. Lorsque nous sommes revenus au Canada, nous avons retravaillé ces chansons avec Patrick et Andres et nous les avons enregistrées en janvier 2013. L’album est sorti au mois de juin. Depuis, nous avons fait quelques shows au Canada et aux États-Unis, et nous revenons tout juste d’un voyage au Chili où nous avons donné deux concerts mémorables.
MiB : Votre nouvel album s’intitule “
Tenebrario“, un mot que le traducteur généreusement fourni par Google identifie comme de l’espagnol, mais dont il refuse obstinément de nous donner la traduction. Pourrais-tu nous éclairer à ce sujet ? Pourquoi un titre en espagnol sur un album entièrement chanté en français ?
Annick Giroux : Je crois qu’il n’y a pas d’équivalent du mot en français. Un ‘tenebrario’ est un grand chandelier triangulaire utilisé pour l’Office des Ténèbres, aux Pâques. Mais je crois que c’est seulement dans les pays hispanophones. C’est lors de la visite d’un musée d’art religieux, dans le nord de l’Argentine, que nous en avons vu un pour la première fois. Nous aimions le concept de la lumière dans les ténèbres, la mort et la renaissance. C’est un thème qui unit les chansons de l’album. Et comme une grande partie de ces chansons ont été inspirées par l’Amérique du Sud et écrites là-bas, nous aimions également l’idée d’avoir un titre en espagnol pour les réunir.
MiB : Puisque nous parlons de langues : tu es bilingue français/anglais. Pourquoi avoir choisi de chanter dans la langue de Molière ? Ne crois tu pas que l’utilisation de l’anglais aurait ouvert plus de portes à Cauchemar ?
Annick Giroux : Le français est une langue magnifique, précise et complexe, avec laquelle on peut dire des choses d’une façon bien différente d’avec l’anglais. Je crois que c’est une langue qui peut être très noire et atmosphérique, si on la maîtrise bien. Ce sont les grands groupes de métal français des années 80 comme Vulcain, Sortilège et H-Bomb qui nous ont fait découvrir tout le potentiel métallique (plutôt oublié aujourd’hui) du français. Et cela ne nous a pas empêchés de faire des concerts dans des pays comme l’Angleterre, le Pérou ou l’Inde. Mais notre seul but véritable est de créer des chansons qui nous reflètent.
MiB : Outre tes activités de chanteuse, tu es aussi éditrice du fanzine “Morbid Tales” et coéditrice du fanzine doom métal “Les Templiers”. Tu as connu un certain succès en publiant un livre de cuisine intitulé “Hellbent For Cooking” dans lequel tu partages des recettes qui t’ont été confiées par des musiciens de la scène Métal internationale. Comment t’es venue cette idée ? Comment as-tu convaincu un éditeur de te publier ? As-tu une idée du nombre d’exemplaires que tu as écoulé ? Ce livre est en Anglais. Prévois-tu de sortir une édition française ? Écriras-tu une suite?
Annick Giroux : J’adore les livres et les fanzines! En fait, nous venons tout juste de sortir un nouveau numéro des ‘Templiers’
(#3), qui est encore plus gros que les précédents. Il peut être commandé en Europe à l’adresse suivante
jabbathehutt@hotmail.fr (désolée pour la petite ‘plug’, héhé). J’ai eu l’idée d’“Hellbent For Cooking” en mariant mon amour pour la bouffe avec ceux des voyages et du métal. C’est en quelque sorte un voyage autour du monde, en mangeant et en découvrant de bons groupes métal underground (et moins underground!) En fait, c’est mon éditeur qui m’a convaincue, car ‘Hellbent’ faisait partie originalement de mon fanzine “Morbid Tales” en version très primitive. Mon futur éditeur avait obtenu mon zine et il a aimé le concept. Il m’a proposé d’en faire un livre avec lui. J’ai bien sûr accepté! J’ai presque tout fait – la recherche, le contact avec les groupes, le design graphique, la prise de photos, etc. C’était vraiment un beau projet. Je crois qu’on est rendus à 6000 copies de vendues. Il n’y a pas de version française prévue pour l’instant, malheureusement.
MiB : Tu es mariée avec François, qui est le guitariste de Cauchemar. Fin 2010, vous avez tout quitté pour vous lancer dans un périple métallico-gastronomique autours du monde. Quel est l’aspect du voyage que tu as préféré : le côté ‘rencontres métalliques’ ou le côté ‘découvertes gastronomiques’ ? Au final, quel est votre meilleur souvenir ? Seriez vous prêts à retenter l’aventure ou était-ce un ‘one-shot’ ?
Annick Giroux : C’est le mélange de tout cela que j’ai aimé, surtout les rencontres métalliques qui tournaient autour des découvertes gastronomiques (rires) ! Je peux dire que le Pérou était très généreux de ce côté-là. Notre meilleur souvenir? C’est difficile à dire. Mais j’ai adoré faire le chemin Inca qui menait au Machu Picchu. Il est presque certain que nous allons repartir d’ici quelques années. Le voyage est devenu un mode de vie pour nous !
MiB : A part l’inspiration pour la musique et les textes dont vous parlez dans le livret de “Tenebrario”, que vous a apporté ce voyage sur le plan humain ? Voyez-vous le monde différemment depuis votre retour ?
Annick Giroux : Ce voyage a complètement transformé notre vision du monde. Nous avons appris une nouvelle langue (l’espagnol), avons découvert qu’on n’avait pas besoin de grand-chose pour être heureux, et nous avons tellement appris en vivant avec des gens d’autres cultures, qui ne sont, dans le fond, pas si différentes de la nôtre. Nous nous sentions partout chez nous. C’était vraiment quelque chose de vivre avec seulement un petit sac à dos comme maison. Nous apprécions désormais beaucoup plus les choses les plus simples de la vie.
MiB : Le 11 mai 2012, vous avez donné un concert chez nous, au DNA de Bruxelles. Gardez vous un bon souvenir de notre capitale et un souvenir particulier de ce gig ?
Annick Giroux : Oui! C’était la première fois que nous visitions la Belgique, et nous avons adoré le centre de Bruxelles. Malheureusement, nous n’avions qu’une seule journée en Belgique. La prochaine fois, nous allons nous garder plus de temps. Nous avons beaucoup aimé le concert. Nous avons eu une très chaude réception de la part du public. C’était la première fois que nous jouions devant un public francophone autre qu’au Québec, et ça faisait bizarre que les gens connaissaient les paroles!
MiB : Lors de ce concert, vous avez interprété une fantastique cover, chantée en français, du classique “Under The Oak” de Candlemass. N’avez-vous jamais eu envie de l’enregistrer pour la proposer sur l’un de vos albums ?
Annick Giroux : Merci, je suis contente que tu l’aies aimé! Mais ce n’est qu’un cover, alors je ne crois pas que nous allons l’enregistrer. Je crois que quelqu’un l’a mis sur youtube si tu veux le réécouter ! On l’a traduit par ‘Sous le Chêne’. Je crois que notre traduction est meilleure que le texte original (rires), parce nous en avons changé la vision apocalyptique chrétienne pour quelque chose de plus environnementaliste.
MiB : Si mes souvenirs sont bons, tu as sur le bras un tatouage qui représente la pochette du premier album de Black Sabbath. Je suppose donc que tu es une fan ultime. As-tu écouté “13” ? Qu’en penses-tu ?
Annick Giroux : Oui, j’adore Black Sabbath, bien entendu! C’est l’un des premiers groupes de métal que j’ai entendu et j’en suis tombé amoureuse tout de suite. C’est en grande partie à cause de Black Sabbath si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui. François et moi, nous avons acheté “13” aussitôt sorti. Je ne m’attendais pas à grand-chose, mais franchement, il m’a vraiment déçu. Cela sonne comme un groupe de covers qui essaie de faire des vieilles chansons de Black Sabbath. Cela ne marche juste pas. Et la production est beaucoup trop moderne. Ils auraient dû demander à Orchid d’écrire les chansons. Ça aurait été tellement mieux! La voix d’Ozzy est complètement finie. Je déteste l’effet digital qu’ils utilisent sur sa voix.
MiB : Au nombre de tes nombreuses occupations, il y celle de ‘DJ Métal’. Si je t’engageais pour animer une soirée et que je te demandais me préparer le programme Métal Classique idéal, quelles sont les dix chansons que tu inclurais d’office dans ta liste ?
Annick Giroux : Wow! Ben, cela dépend vraiment ! Mais pour dix chansons de métal très classique, voici ce que je mettrais, dans cet ordre, compte tenu que je suis en Belgique (rires) :
Scorpions – “Sails of Charon”
Mercyful Fate – “Come to the Sabbath”
Acid – “Black Car”
Angel Witch – “Angel Witch”
Saxon – “Princess of the Night”
Accept – “Fast as a Shark”
Black Sabbath – “Heaven and Hell”
Motörhead – “Love me like a Reptile”
Iron Maiden – “Prowler”
Judas Priest – “Sinner”
MiB : Nous connaissons désormais tes activités de chanteuse, de DJ et de rédactrice. Il faut encore y ajouter celle d’organisatrice de concerts. En août dernier, tu as co-organisé le festival ‘Wings Of Metal’ de Montréal. Le festival s’étalait sur deux jours et les têtes d’affiche étaient Manilla Road et Satan. Le festival a-t-il été couronné de succès ? Prévois-tu une seconde édition pour l’année prochaine ?
Annick Giroux : ‘Wings of Metal’ fut absolument incroyable. Les groupes et les spectateurs ont tous adoré l’expérience. C’était vraiment trop cool, et nous avons commencé à travailler sur la seconde édition pour l’an prochain! Nous avons déjà quelques groupes confirmés, mais nous allons seulement les annoncer en janvier 2014.
MiB : Ce genre de festival consacré aux formations métal ‘old school’ remporte de plus en plus de succès en Europe. Chez nous, le “Ages Of Metal” (avec entre autres, Manilla Road, Tygers Of Pan Tang et Diamond Head, était sold out deux mois à l’avance. Comment expliques-tu que, partout dans le monde, les fans redécouvrent le métal des eighties et vont jusqu’à imiter l’attitude et le style vestimentaire de l’époque ?
Annick Giroux : Pour le ‘Wings Of Metal, nous avons des groupes de Métal Classique, mais aussi des trucs Black Métal et Death mais, bien sûr, tous dans la tradition ‘Old School’. Le Métal moderne est tellement aseptisé, tellement sans âme. Les gens préfèrent retourner aux racines du Métal. En tout cas, moi, c’est cela qui me satisfait au plus haut niveau!
MiB : La musique de Cauchemar trouve, elle aussi ses racines dans les eighties. Tu n’as pas encore 30 ans et tu es donc bien trop jeune pour avoir connu cette époque. D’où te vient cette passion pour le Heavy Métal vintage ? Est-ce qu’il y a des antécédents familiaux, comme par exemple, un grand frère fan de Judas Priest et d’Iron Maiden qui t’aurait fait dévier du droit chemin ?
Annick Giroux : (Rires) Non, je suis toute seule dans ma famille à aimer le Heavy Métal. J’étais vraiment le mouton noir de la famille. C’est une correspondante vietnamienne (vivant en Belgique!) qui m’a fait parvenir ma première cassette de métal par la poste, quand j’avais 11 ans. C’était le premier disque de X-Japan et je l’ai dévoré. Cela m’a pris des années pour découvrir que c’était dans le style Thrash des années 80 et quand je l’ai enfin découvert, rien n’a pu calmer ma soif pour le vrai métal !
MiB : Quels sont vos projets pour cauchemar ? Pensez-vous revenir en Europe prochainement. Si oui, vous arrêterez vous en Belgique ?
Annick Giroux : Nous espérons revenir jouer en Europe au printemps 2014. Nous commençons à tâter le terrain. Cela nous ferait un énorme plaisir de venir faire un tour à Bruxelles, si vous voulez bien de nous encore une fois! Côté disque, nous continuons toujours d’écrire tranquillement des chansons. Nous planifions enregistrer notre prochain album dans environ deux ans. Nous avons déjà un concept très intéressant.
MiB : Comme tu es Québécoise, experte en cuisine et que tu explores (musicalement) le côté obscur de la force, pourrais tu expliquer au peuple belge cette hérésie typiquement canadienne qui consiste à verser de la sauce bolognaise sur des frites ?
Annick Giroux : (Rires) Je ne suis pas Québécoise, mais Franco-Ontarienne, d’une minorité francophone de la province voisine du Québec. Mais mon père est Québécois et j’ai grandi avec les mêmes coutumes. Pour ce qui est de la sauce bolognaise sur les frites, c’est 2/3 de la recette d’une Poutine Italienne! En fait, la poutine, c’est un de mes mets préférés. Cela consiste en trois ingrédients primordiaux – des grosses patates frites maison doublement frites (cela caramélise presque les frites), du fromage en grains frais du jour (le fromage fait un bruit ‘squeak’ entre les dents) et de la sauce à poutine brune, faite avec du gras de poulet. Le tout est un art absolu, il faut mettre du fromage au fond, ensuite les frites par-dessus, et encore plus de fromage, et mettre juste assez de sauce brune pour faire un équilibre parfait. La sauce doit être assez épaisse et chaude pour faire fondre légèrement le fromage sans donner une consistance de soupe au plat. Une bonne poutine peut réchauffer n’importe quel cœur. C’est vraiment l’un de mes plats préférés. Nous avons aussi plusieurs variantes, celle avec de la sauce bolognaise, avec du chili (poutine Mexicaine), avec de la sauce béchamel, et même du foie gras !
MiB : Le mot de la fin ?
Annick Giroux : Merci énormément pour l’entrevue, et pour tout le soutien ! À très bientôt, j’espère !