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Ancienne Belgique pour un ancien Bluesman

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Quatre-vingts ans ! À l’âge où la plupart des humains mâles normalement constitués se contentent d’angoisser en attendant le verdict de leur dernier toucher de prostate, l’invulnérable John Mayall reprend courageusement la route pour porter la bonne parole du Blues ! Samedi 22 mars 2014, la tournée célébrant le quatre-vingtième anniversaire du Parrain du Blues Européen (NDR : né en novembre 1933) fait un arrêt festif à l’Ancienne Belgique. L’ami Didier, qui se faisait une joie d’assister à l’évènement, a été contraint de répondre à l’appel du devoir. N’écoutant que mon légendaire… sens de l’opportunisme, je m’empresse de subtiliser son carton d’invitation.

20h. Arrivé bien à l’heure, je prends encore le temps de faire un petit arrêt au bar pour acquérir une Leffe blonde au prix que je débourse habituellement pour un pack de 6. C’est n’est sans doute pas mon meilleur investissement, mais, voyez-vous, je n’aime pas chroniquer l’estomac vide.

C’est au ‘one-man-blues-band’ Lightnin’ Guy (NDR : à ne pas confondre avec son alter-égo cosmique Guy L’Eclair) que l’on a confié l’importante tâche de chauffer la salle. Ce brugeois pas encore tout à fait quarantenaire, qui se targue d’avoir été le vainqueur du ‘Belgian Blues Awards 2011’, n’éprouve pas de réelles difficultés à s’attirer les faveurs d’une foulé réglée en mode festif. L’arrière train confortablement vissé sur une chaise et flanqué d’une une guitare, d’un harmonica, d’un kazoo et de ce qui me semble être une pédale de grosse caisse fixée sur une vieille valise, il entreprend de transformer le parterre de l’AB en Bayou de Louisiane. En véritable ‘entertainer’, il présente ses chansons (avec humour) en utilisant un mélange politiquement correct d’anglais, de néerlandais et de français. Le moment fort de la prestation tient, sans doute possible, dans une reprise superbe et très personnelle du “Voodoo Child” de Jimi Hendrix qui s’achève par une salve redoublée d’applaudissements.

Après avoir savouré une bonne demi-heure de ce show sympathico-statique, je m’accorde un petit moment de répit pour aller faire du lèche-vitrine. Incroyable ! John Mayall en personne, assis derrière un comptoir sur lequel sont exposés quelques CDs, se charge seul de son merchandising. Quel bonheur de pouvoir approcher d’aussi près cette légende vivante du Blues et du Rock. C’est presque émouvant de voir ce petit bonhomme à la chevelure grise (coiffée en queue de cheval), attendant patiemment que quelqu’un ose s’approcher. Bizarrement, le stand du gentleman extraordinaire n’attire pas les foules ! Serais-je le seul à avoir reconnu le héros ? Captivé par la simplicité du personnage, j’oublie de retourner dans la salle.

20h45. John Mayall enfourne rapidement ses CDs invendus dans un baluchon élimé et se dirige d’un pas rapide vers les coulisses. Il est l’heure de se préparer.

21h00 tapantes. John Mayall et ses compagnons de route entrent en scène sous les applaudissements d’une AB en liesse. Avant même d’entamer le premier titre, le pétillant octogénaire se saisit du micro et présente les musiciens avec un savoureux accent british. Nous faisons ainsi la connaissance du bassiste Greg Rzab. Un coup d’œil (post-concert) sur la biographie du musicien m’apprend qu’il a accompagné Buddy Guy pendant plus de dix ans et qu’il a ensuite tourné avec Jimmy Page, Stevie Ray Vaughn, Carlo Santana, Eric Clapton, Jeff Beck et le Allman Brothers Band (NDR : excusez du peu). C’est ensuite le Texan Rocky Athas qui passe sous le feu des projecteurs. Le guitariste a, derrière lui, une solide carrière solo et a joué, entre-autres, avec le fameux groupe sudiste Black Oak Arkansas. Le batteur Jay Davenport, originaire de Chicago, est le dernier nous être présenté. Le colossal cogneur afro-américain a été l’élève de Clifton James, le célèbre batteur de Bo Diddley et a accompagné de nombreux artistes sur scène (NDR : notamment le guitariste blues américain Melvin Taylor).

Le concert démarre avec “All Your Love”, un classique issu de l’album “Blues Breakers, with Eric Clapton” sorti en 1966. Mayall chante, joue du clavier et balance d’envoutants soli d’harmonica pour faire vibrer la salle. Le groupe enchaine avec “Somebody’s Acting Like A child” (1968) sur lequel Rocky Athas brille de mille feux. Pour être le guitariste de John Mayall, il faut pouvoir enfiler les pompes d’Eric Clapton, de Peter Green (Fleetwood Mac), de Mick Taylor (ex-Rolling Stones), d’Harvey Mandel, de Walter Trout (Canned Heat), de Coco Montoya et de tous les incroyables six-cordistes qui se sont succédés au sein des Blues Breakers ; c’est vous dire le niveau ! Sur “Walking On Sunset” (1968), Mayall abandonne les claviers et se saisit d’une guitare magnifiquement décorée pour ferrailler en duo avec Rocky Athas. Le guitariste et son boss légendaire échangent autant de notes que de regards complices. Un délice. Greg Rhab, quant à lui, se contente pour l’instant de rester un peu en retrait en affichant un sourire timide. Bien qu’il ait une cinquantaine d’albums à son actif et donc un répertoire plus que conséquent, Mayall ne peut s’empêcher de rendre hommage à ses héros personnels en reprenant les standards du blues que sont “Help Me Baby” du bluesman harmoniciste Sonny Boy Williamson et le superbe “So Many Roads” d’Otis Rush.

“Nothing To Do With Love”, tiré de l’album “Tough” sorti en 2009 sera l’un des titres les plus récents joués aujourd’hui. C’est un titre puissant, presque heavy, sur lequel Jay Davenport cogne comme un damné en affichant le sourire colérique d’un Mister T auquel on vient d’annoncer qu’il va devoir prendre l’avion. Les interventions solitaires de Rocky Athas se font de plus en plus impressionnantes. Les soli à rallonge et les regards amicaux échangés avec John Mayall sont, à chaque fois, salués par les cris, les hourras et les sifflements admiratifs du public.

“Dirty Water” (2002) sert de prétexte à envoutante jam de guitares et surtout à une phénoménale démonstration de basse. Greg Rhab, qui s’est (enfin) dégelé, y balance tout ce qu’il a (NDR : et il en a beaucoup !).

N’allez pas vous imaginer que je connaisse la discographie du Parrain du Blues Anglais sur le bout des doigts, car il n’en est rien. Heureusement pour moi (et les autres scribouillards présent dans la salle), Mayall énonce clairement chaque titre et explique à l’audiance le sens profond de ses chansons avant de les interpréter : “One Life To Live”, par exemple, est une chanson antimilitariste. “I’m A Sucker For Love”, la chanson d’amour par excellence, “Gimme One More Day”, un titre qu’il a écrit pour célébrer 25 ans de sobriété.

Les interactions du musicien avec son public sont gorgées d’un humour typiquement britannique. Pour répondre à un quidam qui lui balance : ‘We Love You John’ ! , le fringant vieil homme répond : ‘Si seulement c’était une fille qui avait dit cela… et bien, tant pis, je vais le prendre quand même’. Lorsqu’une dame, visiblement émue, le supplie d’interpréter ‘la chanson qui parle de crocodiles’, il répond interloqué : ‘Cette dame m’embrouille. Pourquoi ai-je autant de chansons à mon répertoire ?’. Et lorsque l’impudente, pas vraiment satisfaite de la réponse, se permet d’insister, il rétorque avec malice : ‘Je vais mettre fin à cette conversation maintenant. Il y a des gens qui sont venus écouter de la musique !).

“Chicago Line”, un extrait du tout premier album “John Mayall Plays John Mayall”sorti en 1965 servira de conclusion à la fête. Le titre est fantastique. Démarré en solo, à l’harmonica, il se transforme peu à peu en jam déchainée au cours de laquelle chaque musicien à son mot à dire. Nous assistons à un magnifique duel guitares/clavier et à une joute basse/claviers phénoménale qui se termine par un solo de basse gargantuesque. Greg Rhab slappe et tappe comme un damné avant de conclure avec le riff du “Smoke On The Water” de Deep Purple. Il laisse ensuite la place à Jay Davenport dont le solo de batterie est bombastique. Il est 22h45, les lumières se rallument. En quelques secondes, le backdrop est relevé et les roadies commencent à démonter le matériel. L’AB ne l’entend pas de cette oreille et scande un flot de ‘We Want More’ impératifs ponctués de cris et de sifflements désespérés. Mayall réinvestit la scène accompagné de ses trois acolytes et demande aux roadies de rebrancher son clavier. Se saisissant du micro il balance : ’Vous avez créé en vent de panique là derrière. Il faut les excuser, ils n’étaient pas au courant de votre enthousiasme’ avant d’entamer le fantastique instrumental “Hideway”.

Il est 23h. Les lumières se rallument définitivement. L’AB, exsangue, rend un dernier hommage ému au chevelu de quatre-vingts printemps qui vient de le tenir en haleine pendant deux heures ! Respect !

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