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Evil Invaders : vide grenier à l’Ancienne Belgique

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Extirper Bernie le Keupon de la sombre tanière dans laquelle il se terre depuis quelques mois et le convaincre de dépoussiérer le Nikon démesuré qui fut, jadis, le compagnon de toutes nos aventures ne fut pas chose aisée. Cependant, un événement aussi exceptionnel que la prestation des empereurs de l’underground Metal belge dans le Saint des saints de la musique mainstream méritait bien la réunion de notre (jadis) inséparable duo. 13 novembre 2015. Les embouteillages traditionnels du vendredi soir et l’enfer piétonnier qu’est devenu aujourd’hui le centre de Bruxelles ont raison de la légendaire ponctualité du keupon. Alors que je fais le pied de grue sur le trottoir qui fait face à l’AB, l’affreux épuise son forfait SMS afin de me tenir au courant de la situation du réseau autoroutier. La foule qui s’engouffre dans la célèbre salle bruxelloise m’inquiète de plus en plus. Les Evil Invaders attirent généralement une horde de cheveux longs, de vestes à patches et de ceintures cloutées au sein de laquelle je me sens presque normal. Le public du jour, par contre, ne semble constitué que de bobos huppés, bien coiffés, jolis et propres sur eux. Dans ma tête les questions se bousculent : me serais-je trompé de date ? Me serais-je trompé de salle ? Pire, encore : est-il possible que le simple fait de jouer à l’AB suffise à éveiller l’intérêt du grand public ? Bernie arrive à temps pour me tirer de ces horribles pensées. Cheveux longs, mal rasé, vêtu d’un T-Shirt de Motörhead élimé jusqu’à la corde, il fait franchement plaisir à voir. Enfin un peu de normalité dans ce monde étrange et effrayant !

Nous nous ruons vers le guichet afin de retirer nos précieux sésames. C’est là que nous comprenons le ‘pourquoi’ de l’étrange manège BCBG auquel nous venons d’assister. Contrairement à ce que nous avions naïvement espéré, les Evil Invaders ne se produisent pas sur la scène principale. Celle-ci a été réservée à un combo Indie Rock batave appelé Kensington. Comme des pestiférés, les métalleux que nous sommes sont priés de rejoindre le ‘Club’, ce grenier aménagé, beaucoup moins prestigieux que l’ancien théâtre qu’il surplombe, mais au sein duquel nous retrouvons avec plaisir deux cent membres de notre véritable famille. Si nous avons manqué la prestation des Emperors Of Decay (NDR : qui ont chauffé les planches dès 19h), nous arrivons à temps pour assister au show de Your Highness. Hormis le niveau élevé des décibels, la musique servie par Votre Altesse’ n’a pas vraiment grand chose à voir avec le Speed/Thrash des Evil Invaders. C’est une musique de guitares plombées, de vocaux rugueux et de solos de guitares gorgés de feeling. Le groupe semble vouloir y restaurer le lien familial oublié unissant le Stoner et le Sludge à leur ancêtre Blues. Si le public reste statique, il n’est manifestement pas insensible au style des Anversois et le succès remporté est loin d’être mitigé.

Beaucoup de choses ont changé chez les Evil Invaders depuis la dernière fois que je vous ai conté l’une de leurs prestations scéniques (NDR : au
Up The Belgians! Fest Pt1
de Courtrai en Mars dernier). Forts d’un album costaud (
Pulses Of Pleasure
) publié par l’un des labels Metal européens les plus prestigieux (Napalm Records), les Limbourgeois ont sillonné l’Europe de part en part et sont même allés porter la bonne nouvelle du Speed/Thrash ‘à la Belge’ jusqu’au Pays du Soleil Levant. Sam Lemmens, le géant blond au sourire permanent qui tenait la seconde guitare depuis 2010, a quitté le groupe pour des raisons qui lui sont propres. Max Mayhem (NDR : le teuton de la bande) a abandonné la basse pour reprendre à son compte la six-cordes abandonnée en laissant à l’ex-Prematory Joeri van de Schoot le soin de se charger de la quatre-cordes. J’avais déjà revu le groupe dans cette nouvelle configuration (sans vous le dire) en septembre dernier dans le cadre du Olenfest, mais sa prestation du jour ne m’avait pas tout à fait convaincu. J’attendais donc avec impatience que le quatuor remette les pendules à l’heure et je n’ai pas été déçu !

De passage à Bruxelles, notre amie Sophie a eu, elle aussi, la bonne idée de participer à l’événement. Haute comme trois pommes et demie, la belle insiste pour que nous gagnions les premiers rangs. Habitué au tsunami humain que génèrent généralement les Evil Invaders, je tente (en vain) de la convaincre que ce n’est pas une bonne idée. Bernie, qui semble excité à l’idée de reprendre des photos live, pointe déjà le zoom turgescent de son Nikon en direction de la scène.
Les lumières s’éteignent et le brouillard nauséabond des fumigènes envahit les planches. La face possédée de Joe apparait dans un flot de lumière verte alors que résonne le riff particulier de l’intro de “Fast, Loud ‘N’ Rude”. Déjà, slammers et pogoteurs sont sur les starting blocs. D’un cri strident, le hurleur/guitariste donne le signal du départ. La suite des événements est relativement confuse. Bras et jambes s’enchevêtrent dans ce qu’Exodus appelle une explosion de ‘Good Friendly Violent Fun’. N’ayez pas peur, Madame, ce sont des jeunes qui dansent… “Driving Fast”, le bolide ultrasonique extrait du premier EP “Evil Invaders” ne calme pas vraiment les choses. Si les bousculades ne me dérangent pas outre mesure, les plongeurs qui, au passage m’arrachent les binocles me font presque regretter d’avoir choisi de suivre Sophie au cœur de la bataille. Sur scène également cela déménage. Les musiciens virevoltent de gauche à droite en rendant difficile la tâche ingrate de ce pauvre Bernie.

Max Mayhem (NDR : qui arbore fièrement un T-Shirt aux couleurs de nos compatriotes de Slaughter Messiah) ne tient pas en place, ce qui ne l’empêche pas de se joindre à Joe nous livrer de superbes duels de guitares. Le public féminin, qui est venu en nombre, semble très très excité et, entre les titres, on entend presque plus de hurlements stridents que de voix gutturales. Les titres s’enchainent sans temps morts : “Pulses Of Pleasure” et son superbe final instrumental sur lequel Joe et Max démontrent toute l’étendue de leur talent, “Stairway To Insanity” dont la folie brutale est accentuée par les grimaces démentes de Joe, “Siren” qui, à mon avis, est le seul titre qui ne fonctionne pas vraiment sur scène, etc.

Joe marque ensuite un temps d’arrêt pour dédier le titre suivant à son batteur favori : Philthy, l’ex-cogneur fou de Motörhead décédé quelques jours plus tôt. Première cover de la soirée avec l’habituel “Fabulous Disaster” d’Exodus, suivi du brutalissime “Victims Of Sacrifice” qui ouvrait l’EP éponyme de 2013. S’il est un peu moins violent que les autres titres, le ‘Maidenien’ “Master Of Illusion” qui clôt la prestation nous offre, en tout cas, une nouvelle occasion d’admirer de magnifiques joutes de six-cordes. Les musiciens quittent la scène sous les cris d’un AB club qui ne l’entend pas de cette oreille. Le rappel est un peu inédit puisqu’a la place de l’habituel “Evil Invaders” nous avons droit à une reprise décapante du classique “Witching Hours” de Venom, chantée par Max. Pour le second rappel, le groupe nous offre sa version personnelle et dévastatrice du “Violence & Force” d’Exciter. Comme souvent, Joe marque la fin définitive des hostilités en plongeant dans la fosse. Ce soir, les Evil Invaders ont nettoyé le grenier de l’AB à coup de décibels. La grande salle ne sait pas ce qu’elle a perdu.

La nuit est jeune, et il nous reste encore un peu de temps pour affronter la capitale piétonnière. Grâce à Bernie, dont la contribution à la production mondiale de gaz à effet de serre est loin d’être négligeable, nous profitons encore d’une température agréable pour une mi-novembre. Attablés à la terrasse d’un café du centre ville en compagnie de Sophie, nous passons quelques agréables minutes à refaire le monde sans nous douter que celui-ci est en train de basculer et que, pendant de nous redessinons confortablement nos vies, d’autres amateurs de musique sont en train de perdre la leur. Ce soir les ‘envahisseurs diaboliques’ étaient à l’AB. Les vrais monstres, eux, étaient au Bataclan !

Photos © 2015 Bernard Hulet

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