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Alcatraz : jour 1 – incarcération

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Innocent ! Oui Madame ! Mais que voulez vous ? Depuis que les bandits et les escrocs squattent nos ministères, il n’y a guère plus qu’au pénitencier que l’on peut côtoyer des gens bien. Alors on tourne… on tourne en des milliers de pas qui mènent à… l’Alcatraz ! Samedi 13 août 2016. Après un petit crochet par Mouscron pour embarquer une paire de codétenus patibulaires, je fonce en direction de l’Alcatraz. Dix heures et demie. Nous y sommes ! Le premier groupe ne monte sur scène que dans un quart d’heure. Le timing est parfait ! Enfin,… parfait pour les lascars qui m’accompagnent puisqu’ils franchissent le portail du pénitencier sans aucun problème. Ce n’est malheureusement pas mon cas. Par souci d’économie, probablement, nos geôliers ont décidé de combiner l’accueil de la presse avec celui des VIP. Je passe la demi-heure qui suit à butiner dans la file qui mène au guichet, coincé entre deux essaims de ‘Gens Très Importants’.

Au loin, les premiers coups de tonnerre générés par les orageuses Thundermother se mêlent au crépitement ma messagerie. Mes fidèles lieutenants s’inquiètent de mon absence prolongée et me le font savoir par SMS interposé : ‘T’es où Dugland’ ? ‘Kess tu fous encore ?’, ‘T’es chiant avec ton accréditation !’, ‘Tant pis, on t’attend au bar’. 11h10. Le gang, rassuré, m’accueille avec un chaleureux : ‘Ah, quand même, c’est pas trop tôt ! On a bu ta bière, elle allait être tiède !’ Je me console en jouissant des cinq minutes de Hard Rock sexy (mais vigoureux) que daigne encore me jeter en aumône le joli quintette de rockeuses suédoises avant de quitter la scène sous les acclamations d’une foule conquise.

Faute de pouvoir ressusciter l’emblématique David Wayne, Metal Church semble heureux d’avoir récupéré Mike Howe (NDR : le vocaliste qui l’avait accompagné entre 1988 et 1994). Il faut admettre que le frontman est convaincant, tant au niveau vocal (NDR : sur les classiques, il imite Wayne à la perfection) que scénique. Pour tout dire, il est le seul membre du groupe à insuffler un zeste d’énergie à la prestation. Remuant au possible, il contrebalance le jeu statique de ses compagnons et rend agréable ce show qui, sans ses sautillantes interventions, reposerait uniquement sur le sourire permanent de l’imposant Kurdt Vanderhoof. S’il est techniquement irréprochable, le quintette californien est franchement trop mollasson pour convaincre. Comme beaucoup dans la foule, nous apprécions les hymnes que sont “Start The Fire” ou “Watch The Children Pray”. Cependant, nous sommes un peu déçu de n’avoir droit qu’à un seul extrait du mythique album éponyme à nous mettre sous la dent, et ce, même s’il s’agit d’une tuerie telle que “Beyond The Black”.

D’énergie, The Answer n’en manque assurément pas. Combinée à l’arrivée des premiers rayons de soleil, la joyeuse prestation des Irlandais semble marquer le véritable départ des festivités carcérales. Selon les informations reprises dans le livret du festival, David Coverdale lui-même aurait recommandé (imposé?) le groupe à l’organisation. Un soutien, qui, d’après ce que nous constatons de visu, est amplement mérité. Après lui avoir promis quelques ‘Good Times Vibes Of Summertime Rock’n’roll’, le quatuor taille à l’assistance un superbe costard Hard Rock’n’roll vintage en peau de Led Zeppelin et d’AC/DC véritable. Le vocaliste Cormac Neeson n’a pas son pareil pour mettre le feu aux poudres et nous passons un excellent moment.

Candlemass est le groupe que j’attends avec le plus d’impatience. Et je ne suis franchement pas déçu. Si elle fruste un peu le fan inconditionnel, l’absence (pour raisons de santé) du leader Leif Edling ne nuit pas vraiment à la qualité de la prestation de son groupe. Intégré (officiellement) depuis l’année dernière, Mats Léven (Krux, ex-Yngwie Malmsteen, etc.) démontre aujourd’hui qu’il était le meilleur choix possible pour Candlemass. Aussi à l’aise dans les sandales de Messiah Marcolin (“Mirror Mirror”, “At The Gallows End”) que dans les baskets de Thomas Vikström (“The Dying Illusion”) et les santiags de Robert Lowe (“Emperor Of The Void”), le vocaliste est carrément bluffant sur “Crystal Ball” et “Solitude”, les deux extraits du légendaires EP “Epicus Doomicus, Metallicus” qui nous sont offerts en fin de set. Contrairement à Metal Church (NDR : qui comme lui distille le Metal depuis trois décennies), Candlemass n’a pas renoncé à tout donner sur les planches et la prestation énergique des vétérans que sont Mats “Mappe” Björkman (guitares), Lars “Lasse” Johansson (guitares) et Jan Lindh (batterie) force l’admiration.

En fan ultime de Candlemass, j’ai quelques difficultés à comprendre pourquoi ce groupe cultissime est programmé aussi tôt sur l’affiche du festival. Il est vrai que trente années d’une carrière irréprochable et une bonne dizaine d’albums classiques ne pèsent pas lourd face au canon à confettis et grimmage clownesque d’ Avatar. Le groupe remporte tous les suffrages auprès de la frange la plus ‘verte’ de l’assistance. Celle-ci n’hésite pas à interrompre sa partie de chasse aux Pokémons pour profiter de la représentation colorée et des sonorités standardisées (mais ultra-puissantes) de l’excentrique quintette de Gothenburg. Comme Pikachu, nous profitons, mes compagnons de cellule et moi-même, des quelques instants de répit offerts par les amuseurs scandinaves pour aller nous restaurer et faire quelques emplettes au Metal Market.

Nous sommes de retour face à la scène (unique) de l’Alcatraz Metal Fest pour accueillir comme il se doit le plus helvète de nos héros musicaux : le mythique Tom G. Warrior et son sombre Triptykon. Pour nous qui fûmes jeunes au début des années 80, l’hérétique backdrop aux couleurs de l’album “To Mega Therion” de Celtic Frost est plutôt de bon augure. Cette agréable sensation de retour en arrière est confirmée dès l’ouverture, lorsque Warrior et ses minions enchainent, sans respirer, les antiques “Dethroned Emperor” et “Circle Of Tyrants”. Deux titres de Celtic Frost ! Nous n’en espérions pas tant… nous n’en aurons pas plus. La suite du show est uniquement consacrée au répertoire de Triptykon. Malgré le respect que nous éprouvons pour le groupe, nous sommes obligés d’admettre que l’opacité de ses compositions et l’humeur exécrable qui semble animer les musiciens passent très mal sous le soleil de Courtrai. Le bonnet noir vissé sur la tête, Warrior ne communique pas une seule fois avec le public. Et, si certains d’entre nous espéraient voir un sourire sur les lèvres de la bassiste Vanja Šlajhn, ils doivent se résoudre a googler ‘La Joconde’ sur leur téléphone portable pour apaiser leurs envies. Le rayons de lumière qui inondent le site du festival en ce début d’après-midi et l’humeur festive qu’ils génèrent ne s’accordent pas vraiment avec la noirceur de la musique du quatuor. Cependant, nous ne lui en tenons pas rigueur. Après tout, ce n’est pas de sa faute s’il fait beau !

S’il y a une musique qui s’apprécie pleinement au soleil, c’est bien celle d’Anthrax ! Malgré 35 ans de carrière, le groupe est toujours à la pointe du progrès. Après avoir initié le headbanger moyen aux joies rafraichissantes du caleçon fleuri vers la fin des eighties, les New Yorkais démontrent tout leur savoir faire en matière de marketing. Non contents d’afficher un backdrop et des caches de batterie flanqués du logo (à 3 griffes) d’une célèbre marque de boisson énergisante, les musiciens (Joey Belladonna en tête) en balancent régulièrement des cannettes dans l’assistance. Boostés, sans doute, par le breuvage sucré dont ils font la réclame, les moshers américains délivrent un show hyper énergique. Scott Ian, aussi pétillant qu’à l’époque de la sortie de “Spreading The Disease”, impressionne par son éternelle jeunesse. Belladonna, lorsqu’il oublie ses ‘monstrueux’ impératifs contractuels, se révèle être un frontman hors normes, capable de tenir son public en halène. Entre “Caught In A Mosh”, “Got The Time”, “Madhouse”, “Indians” et la sempiternelle cover de l’“Antisocial” de Trust, la prestation d’Anthrax ne nous offre que des moments de plaisir. L’un de nos tops de la journée !

Après avoir flirté avec les sommets, nous touchons carrément le fond. Il est presque 19 heures et Ministry entre en scène pour transformer l’Alcatraz en un Guantanamo du pauvre où l’on pratique sans remord la torture auditive (et visuelle si l’on considère le look assez particulier d’Al Jourgensen). Peu importe si l’on apprécie ou pas la musique répétitive et industrielle de Ministry. Le show du jour est imbuvable. Le volume sonore asséné par le bourreau qui est en charge de la table de mixage dépasse largement le niveau défini dans la Convention de Genève et le concert est une véritable punition pour celui qui, comme votre serviteur, n’a pas jugé nécessaire de se munir de bouchons auditifs. Seules les images qui défilent sur les écrans géants, politiquement incorrectes à souhait, parviennent à rendre l’expérience un peu moins pénible.

20h15, Airbourne débarque de son Australie natale pour nous délivrer du joug de notre industrieux tortionnaire. Finies les prises de tête. Place au Hard Rock pur et simple. Au programme, rien de vraiment neuf pour celle ou celui qui a déjà vu le gang des frères O’Keefe en action : relecture (relativement) personnelle du répertoire d’AC/DC et Motörhead, destruction de cannettes de bière (à coup de crâne, s’il vous plait) et petit tour du parterre à dos de roadie. Le quatuor ne renouvelle pas vraiment son jeu de scène. Peu importe. La musique est festive et l’énergie communicative. L’Alcatraz prend son pied. Mission accomplie !

David Coverdale soufflera sa 65e bougie en septembre prochain. L’âge idéal, semble t’il, pour prendre une retraite méritée. Par chance, il a choisi le cadre de l’Alcatraz pour faire ses adieux à la communauté Hard Rock de Belgique. Pour fêter dignement une fin d’une carrière longue de quarante hivers, le boss incontesté de Whitesnake nous a concocté un show ‘Greatest Hits’. Nous aurions largement préféré un show ‘Best Of” ! Ah, qu’il aurait pu être éblouissant ce concert d’adieu, si le grand Coverdale avait choisi de nous montrer une dernière fois le monstre du Rock et du Blues qui est en lui, plutôt que de nous offrir le spectacle d’une superstar déclinante cherchant à mettre en valeur son impressionnant état de conservation. Et c’est vrai qu’il est encore beau notre David. C’est tout ce qui compte, manifestement, pour les groupies quinquagénaires qui nous entourent. Peu importe pour elles si la prestation vocale de notre idole n’est pas franchement au top et si ses hits de la fin des années 80 s’en trouvent légèrement massacrés. Peu importe aussi si les bijoux sonores de la fin des Seventies et du début des Eighties sont oubliés. Peu importe si le show est alourdi par d’inutiles soli de batterie, de guitare et de basse. L’important, après tout, ce sont ces cheveux blonds, ce corps athlétique, ces dents blanches et ce sourire destructeur. J’en pleurerais dans la pluie,… s’il ne faisait pas aussi beau !
Si son pot de départ m’a semblé un peu ‘cheap’, j’estime qu’en raison des services rendus à la cause du Hard Rock, Whitesnake aurait mérité de tenir le haut de l’affiche. Pour des raisons que j’ai du mal à comprendre, nos geôliers ont préféré offrir ce privilège à Within Temptation.

La formation batave a mis les petits plats dans les grands pour offrir à ses fans le show qu’ils espèrent. La scène est flanquée d’un joli décor agencé sur plusieurs étages. Nous y découvrons, (si je ne me trompe pas) un dressoir (ou une commode à tiroirs géante) sur laquelle Sharon den Adel joue le rôle d’une poupée en porcelaine. Au budget de cette superproduction, il faut sans doute ajouter un supplément conséquent pour la maquillage de la belle, puisque celle-ci ne se montre pas vraiment économe en ce qui concerne le bleu pour les yeux. En ce début de set, la prestation des musiciens qui l’accompagnent est plutôt statique, peu importe après tout ; le public n’a d’yeux que pour sa robe du dimanche et ses jolies chorégraphies de pantin désarticulé. Au fil des années, le très respectable Doom Métal Gothique de nos voisins hollandais a ‘évolué’ vers une Pop Rock passe-partout qui me titille rapidement les sphincters. À voir les sourires crispés des membres de mon gang, je ne suis pas le seul à souffrir de ces désagréments. Fort heureusement, nombreux sont celles et ceux qui, à l’Alcatraz, ne souffrent pas des mêmes soucis entériques. Nous leur confions donc sans regret la tâche de profiter jusqu’à la fin de ce joli spectacle. Sur le chemin du retour, nous échangeons des avis mitigés sur quelques unes des prestations de cette première journée d’incarcération. Ce sera beaucoup mieux demain, c’est sur !

Photos © 2016 Alain Boucly

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