Spoon au Bota, the underdogs bite back
Unanimement encensés par la critique mais injustement boudés par le public, les Texans de Spoon alignent pourtant des albums impeccables depuis une quinzaine d’années. Le dernier en date, “Hot Thoughts”, ne déroge pas à la règle et marque une nouvelle évolution dans leur chef. Ils entamaient leur tournée européenne à l’Orangerie du Botanique ce jeudi 2 novembre. Perfectionnistes jusqu’au bout des onglets, ils vont même jusqu’à transbahuter leurs propres consoles techniques (dont une se retrouvera en contrebas du côté droit de la scène). Pas étonnant dès lors qu’un énorme semi-remorque stationnait devant le complexe de la rue Royale. En comparaison, le matériel de Husky Loops, le groupe choisi pour assurer la première partie, tenait presque dans un mouchoir de poche. Quelle ne fut toutefois pas notre surprise d’assister à une sorte de jam session entre le batteur et le bassiste à notre entrée dans la salle. Le leader venait juste de rencontrer un problème avec sa guitare et avait filé backstage.
Ceci dit, une fois bien en place, le trio allait se défouler à la manière de The Garden, par exemple. À l’instar des jumeaux récemment aperçus au Witloof Bar, les furieux Londoniens ne se cantonnent en effet pas à un style. Au contraire, ils ratissent large, d’un math rock inspiré de Battles en plus noisy au pub-glam rock des Fratellis en passant par le côté pop des Killers avec une facilité déconcertante et une voix nasillarde imprévisible. Petit délire, ils ponctuent leurs compositions avec des fragments de titres soul qui n’ont rien à voir avec le reste. Mais c’est le final grungy destructeur et déstructuré qui achèvera de nous convaincre, le genre d’ouragan qui ne passe pas inaperçu.
Depuis la fin de la tournée en support de “They Want My Soul”, le multi-instrumentiste Eric Harvey a quitté Spoon. Il n’a pas été remplacé officiellement si ce n’est sur scène par le barbu Gerardo Larios. Ce dernier n’a donc pas participé à l’enregistrement de “Hot Thoughts”, l’excellent neuvième album du groupe, dont la coproduction a été confiée au célèbre Dave Fridmann. Il est d’ailleurs peut-être à l’origine de la direction légèrement électronique qui parsème la plaque même si, à l’instar de “Do I Have To Talk You Into It”, elle reste assez confidentielle en live.
Lorsqu’il laisse sa guitare au repos, Britt Daniel, le charismatique leader à la voix rocailleuse (on pense beaucoup à Stef Kamil Carlens de Zita Swoon) arpente incessamment la scène et le podium installé au milieu de celle-ci. Le reste du temps, il se produit devant un ventilateur tellement puissant qu’il cherchera à en diminuer la vitesse au détriment de l’original visuel “cheveux dans le vent”. Par ailleurs, les effets lumineux excessivement tamisés (on se balade essentiellement entre le rouge et le bleu) vont conférer à l’immense rideau accroché à l’arrière des musiciens un cachet particulièrement classieux
Entêtantes, leurs compositions calibrées pour la bande FM se basent toutefois sur un travail minutieux dont ils se sont fait une spécialité au fil des ans. On pense à The Cars et à Fleetwood Mac, d’autres maîtres en la matière (“I Turn My Camera On”, “Everything Hits At Once”). Mails ils peuvent également se montrer plus sinistres, à l’instar du crasseux “The Beast And Dragon, Adored” enchaîné à “Don’t You Evah” et sa basse entêtante.
Au terme d’un “Do You” somme toute assez pop, le batteur Jim Eno et le bassiste Rob Pope sont venus boire une bière à nos côtés pendant que le claviériste se prenait un délire à la Vangelis qui durera cinq bonnes minutes dans l’obscurité la plus totale. Une sorte de pénitence qui s’effacera nette lorsque débutera “I Ain’t The One” (avec un Britt couché à même le podium) qui va littéralement nous subjuguer et donner une autre dynamique à la seconde moitié du show.
Ainsi, “Anything You Want”, quelque part entre Weezer et Pavement, introduira un groovant “Can I Sit Next To You”, un des trop rares nouveaux titres joués ce soir. Il est vrai que leur impressionnant back catalogue ne leur facilite pas la tâche au moment de coucher la set-list et de partir à l’abordage. “My Mathematical Mind” et “Don’t Make Me A Target” nous feront ensuite voyager dans l’univers des débuts de dEUS (la structure glaciale mais aussi la voix qui renvoie par moments à celle de Tom Barman). Pointons encore un “Got Nuffin” très rock ‘n’ roll que l’on aurait plutôt vu terminer le set principal au lieu du très Beatles psychédélique “Black Like Me”…
Ceci dit, les rappels seront entamés de magistrale manière avec Britt seul à la guitare pour une somptueuse et délicate version d’“I Summon You” qui nous laissera pantois. Juste après, l’efficace “Hot Thoughts” fera le boulot, tout comme “Rent I Pay” ponctué de flashes stroboscopiques du plus bel effet. Il n’aura manqué que l’excellent “Pink Up”, un des meilleurs extraits de la nouvelle plaque, prévu mais malheureusement biffé de la set-list. Il n’empêche, égoïstement, tant que le succès commercial les boudera, on continuera à les voir dans d’excellentes conditions…