STEVIE SALAS fusionnel et émotionnel
STEVIE SALAS 28/05/2003 SPIRIT OF 66/VERVIERS Stevie Salas fait partie de la galaxie punkfunk californienne. Originaire de San-Diego, l’Europe l’a découvert en tant que membre du house band de la série TV « Fame » bien connue où il manifestait un talent artistique certain.
Déjà passé au Spirit il y a à peu près quatre ans, il n’avait pas oublié le goût de la tarte au riz que Francis Géron ne manque jamais d’offrir à ses invités.
Petit flash-back : fin des années quatre-vingt, le turbin musical à Los Angeles est centré autour de deux guitaristes de renom : Tom Morello (futur RATM) et Georges Clinton (droitier redoutable). Stevie Salas inspiré par le funk se situe alors aux antipodes de la scène « LA-Hair-Metal »
Il va trouver beaucoup d’inspiration et de références dans l’underground californien où règnent en maître, à l’époque, Red Hot Chili Peppers et Fishbone.
A l’autre bout de la chaîne artistique, on trouve des groupes comme Poison.
Stevie Salas investit progressivement le monde de LA, en tant que guitariste invité, se lie d’amitié avec Nikka Costa (qu’il considère aujourd’hui encore comme sa propre sœur) et décroche, grâce à son pote David O. des Plimsouls, un job d’homme à tout faire dans un studio d’enregistrement.
Une nuit, Georges Clinton le réveille pour qu’il lui joue quelques mesures d’accompagnement. Il se retrouve ainsi propulsé instantanément sur l’album d’un de ses maîtres et réalise avec émotion le chemin parcouru.
Il rencontre également Bootsy Collins et Don Was qu’il n’est plus nécessaire de présenter. On le retrouve aux crédits du second album de Was Not Was (« What Up Dog ») que le magazine Rolling Stone classera dans les 100 meilleurs albums de la décade.
Il commence à produire lui-même des groupes de rap-metal et crée son propre band « Stevie Salas’Colorcode” mélangeant funk, rock et un peu d’atmosphère hard.
Impossible pour lui de consacrer du temps à cette occupation tant il est sollicité par des demandes de collaborations discographiques. En 1987, il a le choix de suivre Duran Duran ou Thomas Dolby. Il choisit Andy Taylor et son groupe qui tournent alors avec les Psychedelic Furs dans sa région natale. Il dira, quelques jours avant le concert de San Diego, que Taylor l’a littéralement enflammé. Ce seront des moments inoubliables de grande empathie artistique.
Néanmoins, après cette période, il refusera un temps de s’expatrier à Londres et misera essentiellement sur son projet personnel. Cela ne durera toutefois pas puisqu’il cèdera aux offres D’Elektra Records qui cherche à développer une production européenne.
Stevie arrive à Londres pour travailler d’abord à ses propres compositions mais le manager de Rod Stewart (qui, fait amusant, est également celui d’Andy Taylor, l’engage pour une tournée mondiale au service de Rod The Mod. Son culot lui permettra de monter en première ligne et même de chanter aux côtés de la grande star oxygénée.
1990 : premier opus avec Colorcode (« Stevie Salas’Colorcode ») suivi en 1995 par «Back from the living » qui sera classé au Japon avant « Voodoo Lounge » des Stones et « Big Ones » d’Aerosmith.
Bizarrement le succès musical ne suit pas aux USA. Plus connu pour les à-côtés de sa vie (dans un certain gotha nonchalant) que pour ses qualités artistiques intrinsèques, il n’en a cure et reste cool. C’est sans doute cela qui le rend humble.
D’origine indienne, il retourne aux sources dans le cadre d’une production documentaire de Julian Temple pour les droits de l’Homme et sillonne ainsi le monde pendant deux ans, la guitare acoustique en main, appelant à la réhabilitation des « Native Americans » à travers la musique. Bien que décalée, cette activité le maintient en contact avec le show-business et c’est en toute décontraction qu’il se retrouve en tête des charts anglais pour la chanson « Killer » de Seal où il intervient même vocalement.
Il reprend alternativement du service comme directeur musical de Terence Trant D’Arby, Duran Duran (nouvelle tournée) et Sass Jordan. Il forme également « Hardware » un trio occasionnel avec Bootsy Collins et Buddy Miles (excusez du peu !!!) qui donne naissance à un album phénoménal : « Third Eye Open ».
Nul n’étant prophète en son pays, Stevie Salas peut se targuer alors de disposer hors US d’un crédit moral énorme et ce, jusqu’en Inde.
On le retrouve encore à la Fuji Rock Fest en 1999 aux côtés de Rage Against The Machine, puis il entre en semi-retraite jusqu’à l’événement le plus dramatique de son existence : le suicide de sa compagne. La presse n’est pas tendre avec lui. Il passe instantanément et injustement du statut d’icône à celui de bad boy.
La seule solution pour en sortir est de se jeter sur l’écriture d’un nouvel album « Shapeshifter » dont la chanson « Punkass***** » est immédiatement consécutive à la lecture d’un article infâmant à son sujet. Et c’est ainsi que naît ce véritable petit chef d’œuvre du genre nitro-fueled-emotional, transition idéale avec le concert de ce 28 mai 2003.
Le trio inhabituel que Stevie Salas a formé avec T.M. Stevens (basse) et Matt Sharrod (batterie) a des airs de Dream Team. Chacun d’entre eux fait figure de pointure dans le milieu punkfunk averti. Cette tournée est un véritable cadeau car elle associe trois artistes de haut de gamme rarement visibles ensemble en Europe.
Ils évoluent dans des univers musicaux distincts bien que voisins et cette association engendre un collectif explosif.
Commençons par Matt Sharrod producteur créatif (Marcy Gray, Dr Dre) et batteur de génie. Ce cogneur domestique admirablement sa frappe et développe des liens ahurissants lors des moindres changements de rythmes. On dirait qu’il coordonne ses quatre membres avec une table de mixage intérieure et qu’il contrôle intuitivement la force des coups pour garantir un niveau maximal et constant de puissance. Son attitude derrière les fûts est également remarquable. Il imprime un mouvement simultané des pieds et des mains qui multiplie automatiquement par quatre l’intensité de la frappe. Cette façon de faire donne, de plus, à sa gestuelle une élégance et une efficacité aussi belles à regarder qu’à entendre. J’ai rarement vu tant de style et tant d’opportunité réunis en un seul homme.
Cerise sur le gâteau, M/S domine admirablement son sujet, sans économie mais aussi sans abus démagogique.
Il en va de même pour TM Stevens, l’invraisemblable bassiste de ce trio détonant. Il faut d’abord essayer de décrire le personnage. Black, raffiné, stature géante qui rappelle Cassius Clay au temps de sa splendeur. Lunettes de plongée métalliques intégrales sur le nez, visage pailleté de laque dorée, affublé d’un superbe Tshirt « Are You Experienced ? » il est surmonté d’une coiffure à dreadlocks multicolores sublime. Cool, jovial, communicatif et sympa, c’est un tout grand Monsieur et qui plus est tout grand bassiste auteur récent d’un album génial : « Shocka Zooloo ». Inutile de dire que la basse, dans ses mains, a l’air d’un jouet et qu’il en use avec une maestria et une classe folles. Il fait partie de ceux qui savent jouer utile et quand il lui vient l’idée de sortir le grand jeu, même à fond, ce gars peut rester élégant et convaincant : les notes sont justes et belles, les doigts bien placés et les lignes musicales lisibles, variées, fermes et déterminées.
Quant à Stevie Salas, il n’y a pas que sa gueule d’ange qui le rende attirant. Il a réussi à se frayer un chemin, avec beaucoup de pertinence et d’identité, à travers la jungle hardfunk dominante à LA. Sa musique est forte, travaillée et prenante mais elle garde des racines enflammées qui la rendent noble. Son charme réside non seulement dans les qualités de guitariste nerveux qu’il manifeste mais aussi dans le concept musical abouti qu’il nous projette au fond de l’être. Certes le ton général de ses compositions est dur et ses lyrics souvent graves mais il est capable de mettre des couleurs sur le noir et le gris pour dépasser la première impression de mélancolie cachée et pour rendre lunimeux les contours de ses phrases musicales. Il combine admirablement tous les effets de style électrotechniques que le rock d’aujourd’hui a validés et intégrés. En ce sens, on peut le classer parmi les rockers fusionnels de premier plan mais la prééminence dans ses chansons d’un beat funkysoul irrésistible le rapproche plus de James Brown que de Lenny Kravitz. Sa connaissance du monde et sa parenté « blues » indiscutable avec Jimi Hendrix qui saute au cœur et aux oreilles lui confèrent une universalité émotionnelle. Son immense talent lui permettrait de « faire » du Hendrix comme il respire mais on est déjà tant passé par là. Le respect qu’il porte au natif de Seattle est immense et va jusqu’à préserver ses silences !!!
Le concert démarre au carré par « Stand up » (choix judicieux, à plus d’un titre). Déjà le son de la Pearl retentit comme une rafale de Point 50. Cette façon qu’à Matt Sharrod de jouer à droite (et très adroite d’ailleurs), en lignes parallèles, attire immédiatement mon attention. Il tient les bras très haut et le corps très droit et le regard à 180 degrés. Cela donne une impression d’aisance et lui permet en même temps de suivre le mouvement et de prendre beaucoup d’élan pour les coups à venir. Sérieux drummer Mesdames et Messieurs ! Stevie Salas affublé d’un superbe bonnet de laine à gros points opère quelques réglages vocaux avant de balancer toute la sauce que lui autorise cette installation chaude et bouillante d’un Spirit des grands soirs. Il nous sert une finale gigantofarabuleuse dans ce morceau au point que tu croirais entendre ensemble RHCP* et RATM**.
L’enchaînement service volée des deux titres suivants a de quoi décoiffer (Gégé et moi, on ne craint rien, on a nos peignes). Il y a de l’incendie dans l’air. Non seulement ces braves gens nous en mettent plein les portugaises avec conviction et talent mais ce sont des musiciens irréprochables. La grande force d’un band pareil (je sens que je vais me répéter) c’est de jouer juste assez fort (très fort quand même) pour montrer qu’ils connaissent les repères et qu’ils gardent le contrôle. Autrement dit, pas de fioritures, directement à l’essentiel mais pas de déchets non plus ! Un jeu qui tire vers le haut de manière permanente sans déconner. C’est admirable parce qu’il y a tout là-dedans, même de l’impro !
L’entame reggae de « Blind » annonce de bons moments en perspective, le bassiste est proprement sidérant, le jeu de drums est d’une modernité emballante et le solo que nous sert l’ami Salas vaut le détour. J’aime autant vous dire qu’à ce moment du morceau on a largement largué le reggae et que la pression funky a vite (re)pris le dessus. Le niveau de jeu vient encore de s’élever, ça ressemble à du hard pur jus.
Pour l’anecdote, je suis amusé par les postures diverses que Stevie Salas prend sur scène. Tantôt courbé en deux, au démarrage, comme s’il allait foncer tête baissée vers l’obstacle, tantôt carrément accroupi sur le plancher admiratif et amusé, contemplant d’un œil de connaisseur le jeu de basse de son pote TM qui, c’est vrai, quand il s’y met est un vrai bonheur.
« Experience » est évidemment une référence à qui vous savez, cela se sent, cela se devine mais jamais cela ne dégénère en bête copie. Il y a des effets lourds et quasi psychés dans le jeu de guitare de Stevie Salas. J’ai beaucoup aimé la définition de ses coups de pattes dans la bio qui lui est consacrée : on parle de « scratchy burts of guitar » ce qui pourrait se traduire par « de rugueuses rafales explosives de jets de flammes… de guitare » (sic !). Ceux qui étaient là comprendront. Ca donne, je vous jure que ça donne sérieux fort et grave !
Et nous n’avions encore rien vu ! Pour sortir du fusionnel pur et dur, voici que s’annonce un titre dont je me souviendrai longtemps. « Too Many Mountains » ressemble à une balade d’Allman boostée par Henry Rollins avec un solo hendrixien splendogigaménalodivin. Mais ça reste éminemment (je fais pas exprès, là) lisible. Quel moment de bonheur ! Quelle magie commence à naître dans ce show ! On est près du soleil, pas loin du Grand Canyon surchauffé. Pour peu on en viendrait à rêver aux étoiles ! Le moment de plaisir est énorme !
Il se passe, alors, quelque chose d’incroyable, digne des tout grands (-tout- avec « t » c’est normal c’est l’adverbe…). Je disais donc quelque chose d’incroyable car des étoiles, on est passé sans transition dans une autre galaxie, comme projeté par un élastique géant de la surface de la terre vers l’univers d’une sixième ou d’une septième dimension. « Body Slam », ça aussi, je n’oublierai jamais. Les comparaisons gâtent un peu les impressions mais Salas, Stevens et Sharrod ont sorti, à trois, un truc qui ferait passer Run DMC ou Body Count pour un Hillbilly band. Cette compo co-écrite avec Bootsy Collins m’a fait définitivement comprendre, à moi le bouseux basique que le rock a changé et que le monde évolue. Dans ce sens là, j’irais même en enfer, s’il le fallait. Tidjap ce machin ! Mais on est où là ? A Verviers ? Dans le Queens ou le Bronx ? Et tout le monde s’y met, même au chant, les trois ensemble, Oh Djiiiiizeuuussssssss ! What a fuckin’ night ! Voilà que TM Stevens nous fait la totale : chant, scat et solo de basse. Il arrive même à faire des roulés/boulés sur ses cordes ! Quelle pièce d’homme, dis donc. Quel bazar !!! Là, j’ai du mal chsais pas si je vais m’en remettre, hein ? D’autant que je reprenais un peu d’air au moment où « Born To Mack » a commencé. Mais ils vont nous tuer, that’s not real !
BTM est un titre que James Brown n’aurait pas désavoué. Il contient une fausse finale et une reprise genre « Indianapolis/330 à l’heure ». On a le souffle coupé ! Là-dessus l’ami TM nous remet des slams académiques et virevoltants et des accords rythmiques plaqués sur la caisse avec une énergie débordante. S’ensuivent onze minutes de rapfunk délirant qui dit à peu près « Thank you for the ***** shakin our life » si j’ai bien compris et que j’ai découvert avec ravissement. Ces gars-là te feraient adorer les chants de Noël, s’ils voulaient.
L’entame suivante est superbe avec son gros son, sa rythmique décalée et craquante. On revient au quart d’heure de balade à faire fondre l’Alaska. Je note les sublimes solos (li ?) de Stevie qui dessinent dans l’air de longues traces lumineuses réconfortantes et belles…
« Start Again » démarre à la demande générale, tout le monde se lâche, ça devient la trépidation universelle, la transe n’est pas loin. Gros son, gros beat, gros bonheur ! (qui a dit « gros DD » !?). Ca canarde vraiment très fort. La basse tape, trashe et clashe (j’aime les mots…). Ils nous remettent encore ce genre de fausse sortie qui te fait repartir vers la jouissance parfaite. La conduite de la lead (nom d’un zob, c’est quoi cette guitare, j’ai pas pu décrypter le label… ? Une Yamaha ?) est tout bonnement sublime et les joutes rapprochées avec la basse, de toute beauté ! Qu’est-ce qu’on s’amuse dans ce genre de gig. Qu’est-ce qu’ils nous offrent les pros mondiaux, à nous les petits du triangle Euregio qu’on ne voit même pas sur les cartes américaines ???. Un concert magnifique, une générosité sans faille et une qualité artistique maximale. C’est pas de la Starac’ je te l’dis moi, banane ! Gérald me fait remarquer qu’ils donnent un peu plus qu’un certain Leslie à lunettes paraboliques que je ne citerai pas… Dont acte ! C’est vrai que ce trio va jusqu’au bout de ses réserves. L’état de Stevie Salas pour les rappels en disait long sur la performance. Il a tout donné et presque sans souffle nous offre le superbe « Castle », beau à pleurer qui nous permet de reprendre un peu nos esprits. C’est comme si on était passé dans une lessiveuse à injection, dis donc (iondidon) !
T’es toujours là à te « ravoir » ainsi que dirait ma mère que démarre un blast d’enfer pareil à une hotte aspirante turbo « Do it baby » ! Oh ! oui que je le fais, les gars (je le ferai en tout cas…). Enorme, dément, macromegagigabulimineux !!! Et ce mec ose se brocarder « Stevie no Wonder » en exergue du dernier CD ?! Allez, allez mon petit, tu es un miracle à toi tout seul, faut pas être modeste comme cela…
On peut vraiment dire qu’un concert pareil, change tout ! Il nous donne une ouverture colossale sur les nouvelles dimensions du rock d’aujourd’hui. C’est un passeport pour l’agrandissement de nos pupilles et de nos ouïes (oui, oui,). Une baffe à la gueule revigorante. Bref faut jamais désespérer, tant que Francis veille, on ne risque pas de finir idiot.
Bon là je m’arrête parce qu’on va encore me remonter les bretelles. Et dire que j’avais encore tant de choses à raconter. Thanks Stevie, I promise you to translate my delirious French for your next concert in Verviers because me and my friends we are sure you’ll come back soon !!! Great concert, great band and… great sounding club !
Voici la set list annoncée (chamboulée sur scène):
- Stand Up
- Break Out
- Tell Your Story Walking
- (Punkass*****)
- Blind
- Experience
- Too Many Mountains
- Body Slam
- Born To Mack
- Indian Chief
- Start Again
Encore : - Kickback/Castle/(Wails)/Thang
* Rage Against The Machine
** Red Hot Chili Peppers
Les autres photos du concert
Photo © 2003 Stéphane Pire