Spring Blues Festival – Ecaussinnes – 24 mai 2003
Ah, bon sang, j’ai froid. Vite remonter la couverture. Voilà qui est mieux. Juste laisser dépasser la tête pour respirer. L’essentiel, aujourd’hui. Je suis malaaade. Complètement malaaade. Sacré Serge, va. Et fichue pharyngite. Et cette pluie qui n’en finit plus de tomber. Depuis des heures et des heures. Et des heures. J’aurais dû fermer les tentures. Au moins ce spectacle-là m’aurait été épargné. Mais plus la force de me relever. Je suis si bien dans mon lit. Presque knock-out. Soupirs. Tuf tuf. C’est bizarre, avant, quand je toussais, ça ne faisait pas tuf tuf. Vraiment une drôle de journée qui s’annonce. Peut-être bien que je devrais la passer chez moi en fait. Pour assurer.
Comme la semaine dernière. Mon certificat médical mentionne “sortie interdite”. Oui. Voyez-vous ça. J’en suis ravi. Et une sortie sous chapiteau, ça compte, doc’ ? On lui posera la question un autre jour. Surtout ne pas l’ennuyer pour si peu.
D’ailleurs, ça ne peut qu’être bénéfique. Mais si, voyons. Me faut juste une petite sieste. Quelques médocs, un gros pull et de la bonne volonté. Et c’est reparti pour un tour. Mais pas tout de suite, stp. Hops, un petit sms à mon père. “Si on arrive vers 18h00, c’est parfait”. Ca me laisse juste le temps de tenter de me gonfler à bloc. Pour affronter le déluge.
Est-ce bien raisonnable ? Bien sûr que non, enfin. Quelle question ! Mais comment pourrais-je passer à côté d’une telle affiche. Hein, sérieusement ? Deux concerts qui me font saliver depuis des semaines et des semaines. Et des semaines. Non, c’est décidé. J’y vais un point, c’est tout. Après nous, les mouches. Puis, sait-on jamais qu’un miracle se produise. Du genre “j’ai vu le blues et j’ai guéri”.
Bref, qui vivra verra. Me voilà donc embarqué dans une nouvelle aventure bleutée. A 3/4 d’heure en voiture. Ca me laisse encore quelques minutes pour souffler. Respirer un grand coup. Munition de pastilles pour la gorge. Col roulé. Large sourire. I’m ready for you, I hope you’re ready for me.
“T’es sûr que ça va ?”, qu’il me dit. Euh… bien sûr… Oops, je vacille. Mais t’inquiète, j’ai glissé. Pas de panique, tout va pour le mieux. Tu parles, Charles. Mais pas trop, stp. Nous voilà à la caisse. Touche d’humour sur la vitre. “Le bain de boue est compris dans le prix”. Hé hé. C’est déjà ça. Mais je passe mon tour sur ce coup-là. Pas trop l’esprit Woodstock aujourd’hui. Ni celui de catcheuse. Et à peine celui d’équilibriste. Passer la pelouse, ou ce qu’il en reste, direction le chapiteau. Mission ô combien périlleuse.
Et déjà récompensée par du live. Celui de Big James & The Chicago Playboys. Pour la fin de leur set. Vingt bonnes minutes. Et qu’entends-je ? Du blues ? Que nenni. Il y a Chicago dans le titre, mais houste les clichés. Ces 6 mecs jouent du funk. Ni plus ni moins. A un festival blues. Où est le problème ? L’esprit bleu y est en tout cas. Par-ci, par-là. Surtout par-là, en fait.
Un sax tenor, un clavier, une guitare, une basse et une batterie. Et James Montgomery en leader, trombone en main. Et références funk en tête. Comme en témoigne ce “talkin’ loud and sayin’
nothing” balancé avec conviction. Et énergie. Ce ne sera pas vraiment suffisant pour convaincre. Loin, très loin, de l’original de James Brown ou même de ce qu’en avait fait Prince.
Evidemment, ça met l’ambiance. Assez bon enfant. Mais ils jouent la carte de la facilité. Du déjà vu. Mais en moins bon. Comment mettre le public dans sa poche ? En reprenant un classique, pardi !
Mais à sa sauce, pour faire authentique. “smoke on the water”, donc. Version cuivrée. Et funky. Avec tout le monde qui reprend le refrain. Main en l’air. Mais une seule, hein. Une bière, ça ne
tient pas tout seul.
Mais le temps passe. Dernier morceau. Toujours terminer en beauté. Pour laisser une bonne impression. Et dis donc, là, je dois bien dire que c’est assez scotchant. Un instrumental funk de
tonnerre de zeus. Qui permet à Carl Copeland de faire des merveilles à la basse. Slapping lessons. Tout tourne cette fois autour de sa seule personne. Quel showman, ce gaillard. Et ce n’est qu’un sideman, en plus. Tiendrait la place de leader sans problème. A la manière de Bootsy ou Larry. Applauses nourris.
Bref, ce set de Big James se termine sur les chapeaux de roue. Un funkblues speedé, bien arrangé, cuivré. Et livré avec énergie, bonne humeur et efficacité. Une première belge qui vient de ravir le grand public. Le très grand public. Ne nous posons pas trop de questions. C’est inutile. Et voyons large, les amis. Et santé, au fait.
Punaise, avec tout ça, je crève de chaud. Il fait moite en plus sous ce chapiteau. Les pieds déjà humides et boueux. Et on vient quasiment d’arriver. Ca promet bien du plaisir, j’vous dis.
Mais c’est la mi-temps. Un petit tour à l’extérieur s’impose. Pour prendre un bon bol d’air. Hops, deux trois pas entre les gouttes. Et
verdict : à sentir toutes ces bonnes odeurs, ça donne envie ! Les pastilles contre la toux sont succulentes, mais bon… du consistant ne serait pas de refus. Et le choix est varié… la bouffe de festival, tout un programme. Allez, va pour la pita. Dégustée sous la pluie, un vrai régal.
Mais laissons de la place pour le plat de résistance. Celui qui me fait défier les lois de la maladie. En ce beau samedi tout à fait radieux. Hey, on se convainc comme on peut, non ? Salut, everybody. C’est une belle journée, hein ? Let the sun shine. Tchin tchin. Hey, Yann, qu’est-ce que tu deviens ? Houla, j’ai la nausée. Mais, ne jamais montrer ses défaillances, en voilà une
devise. Montre toi fort, mon chou.
Surtout à 18h30. Heure H. Celle que les plus avertis attendent depuis des lustres. Un one-day project. Sous le nom de Down Home Super Trio. Et sur papier, ça s’annonce déjà haut en couleurs. Un band classieux à souhait.
RJ Mischo à l’harmonica, tout droit venu de cette putain de scène blues de la West Coast. La meilleure, cela va sans dire. Le parisien Frank Goldwasser à la guitare doit être du même avis puisqu’il y vit depuis des lustres. Sage décision, cher Monsieur. Et le trio se complète par le discret Steve Freund à la seconde guitare.
Et franchement, ils sont beaux, ces 3 mecs. Mischo au milieu. Freund à sa droite et Goldwasser à sa gauche. Pantalons à pinces. Chemises. Tabourets. Non pas pour s’asseoir, mais bien pour y déposer un verre. Whisky ? Grenadine ? Vin ?
Aucune idée. Mais une chose est sûre, c’est de la bonne ! Parce que ça vient à peine de commencer, juste quelques notes, et déjà, je suis subjugué. Par tant de cohésion, de bonhomie, de professionnalisme, et surtout de classe.
Ah, vraiment, quel pied, nom de dieu. Et vu des premiers rangs, c’est encore plus impressionnant. On entend avec plus de détails. Telle ou telle note. D’où elle sort. A quel moment. Et grâce à qui, surtout.
Parce qu’il n’y a pas de leader. Ces 3 gars sont des musiciens hors pair et des producteurs non moins redoutables. Sidemen ou aventure solo. Alors, n’allez pas leur proposer un podium. Ou alors, avec une seule marche. La première, évidemment. Et là, nous serons tous d’accord.
Mais nous le sommes déjà, tu sais. Cette formule trio, guitares/harmo est fantastique. Et originale. Sans section rythmique. Ils se la jouent pépère, ce soir. Ambiance Mississippi. Studios Sun. Ah, punaise, ça sent rudement bon !
Quelle joie d’enfin découvrir Goldwasser sur scène. Avec son style hyper personnel. Des notes pointues. Et très réfléchies. Mais toujours avec cette sensation que c’est inné, que tout coule de
source. Ce gars est incisif, indispensable et brillant. Oui, tout simplement, brillant. Dans le genre, on avait T-Bone Walker. Quelle blague. Aujourd’hui, on a Frank Goldwasser. Quelle affaire.
Et c’est d’autant plus clair avec une version hyper convaincante de “feelin’ good”. Well, I feel so good. We’re gonna boogie to the break of the day. Quelles paroles de fous furieux. Ah, si seulement ce spectacle pouvait durer. Encore et encore. Et encore.
C’est tellement réconfortant d’assister à de tels concerts. Qui sortent vraiment du lot. Distançant les autres à des kilomètres. Ce qu’il se passe ici est authentique à 100%. 2 guitares, un harmo et des amplis. Rien de plus.
Juste ce qu’il faut pour atteindre une homogénéité sans pareil. Quelle idée de génie, ce one-shot. Ces trois-là sont faits pour jouer ensemble. Ca devait sûrement être écrit quelque part. Et ça ne fait plus l’ombre d’un doute quand ils se lancent dans une reprise de BB King. “rock me baby” mais à leur sauce. En y ajoutant plus de piment. Et moins de Vegas. Un régal.
Ou encore cet extrait du nouvel album de RJ Mischo, Meet The Coast. Un des tout grands disques blues de 2003. A coup sûr. Sans hésiter. Co-produit par lui-même, Frank Goldwasser (tiens,
tiens) et Marc Thijs, qui joue lui aussi ce soir. Re tiens tiens. Bref, que nous joue-t-il, là ? Et bien, “my muddy story”. L’impact qu’a eu Muddy Waters sur sa vie, chanté sur un ton limite spoken, via le micro de l’harmo. Et joué avec un grain de folie. Ce morceau ressemble d’ailleurs furieusement à “goin’ to the church” de Lester Butler. Mais no problem. On n’est jamais aussi bien servi que par…les Red Devils. C’est bien connu.
Ca a bien l’air, en tout cas. Un coup d’oeil à gauche, un autre à droite. Un véritable vent positif vient de nous envahir. Tout le monde il est devenu beau, tout le monde il est devenu gentil. “Ma cigarette vous gêne, Monsieur ?” Euh… non, non, je tousse, mais c’est juste une petite pharyngite de rien du tout. Fumez donc en
paix. C’est bon pour la santé.
Parce que ce qui va réellement tous nous tuer, c’est le final. RJ Mischo qui va s’asseoir derrière la batterie Yamaha en fond de scène. Harmonica en main. Et pied sur la pédale. Et nous, on n’a plus qu’à s’accrocher. Pour tenir bon. Un instrumental de zinzin. Avec du groove à la pelle. Et une maîtrise du feu de dieu. L’esprit lugubre de Fat Possum (en plus light) est dans les parages. Tous aux abris, ça peut être dangereux. But hey ! On est maso, hein. Alors, on en redemande. Oh bigre…et puis, zut, houste les
politesses… bordel, c’est trop bon !! Quel pied. Et Freund et Goldwasser qui assistent à ça les yeux grands ouverts. Accoudés à leur ampli respectif. Un verre à la main. De whisky, of course !
Halala, quelle affaire, mes enfants. Je suis venu pour ce Down Home Super Trio et Tee. Et bon sang, ces premiers m’ont déjà amplement ravi. Assister à un truc pareil, sur la scène blues, ça n’arrive pas tous les jours. Et dieu soit loué, d’ailleurs. Ca donne à ces instants encore plus d’ampleur.
Ces gaillards voient blues. Jouent blues. Pensent blues. Vivent par et pour le blues. Celui qui sort des sentiers battus. Le vrai, l’unique. Et ils transmettent leur passion de la plus belle des
manières. Oui, vraiment, ça n’aurait pas pu être mieux.
Ils quittent donc la scène après une petite heure. Avec ces mots “do you like this kind of music ?”. Quelle question. C’est peut-être même la seule que j’aime à ce point. A l’instant présent, en tout cas. Ah ça oui, ils m’ont complètement retourné.
Et of course, après tout ça, je vais exploser de chaud. Je tousse comme un dingue. Mais allez, on aurait pu m’amputer d’une jambe, que je serais quand même venu. Avec l’autre. Pour ne pas rater ça. Un des événements blues de l’année. Maintenant que ça vient de se passer, c’est d’autant plus sûr.
Alors, bonne chance aux suivants. Sharrie Williams et ses Wiseguys. Viennent de Detroit, ceux-là. Un autre univers. Une autre approche. Plus de business. Et un tonnerre de décibels. Orgue. Grosse guitare. Et voix gueularde. La miss veut en mettre plein la vue. Typiquement un show de festival. Celui qui plaira à ceux qui sont déjà bien entamés. Et pendant lequel les autres en
profiteront pour aller faire un tour. Pas vraiment concernés par ce cirque. Are you ready to partyyyyyyyyy ? Euh, non merci, madame, je suis trop timide. Peut-être une prochaine fois.
Je vais plutôt m’éclipser pendant un moment. Un bon moment. Bien au calme dans la voiture. Jusque là, encore une fois tenter de se glisser entre ces fichues gouttes. On se croirait en automne. Brrr.
Enfin, me voilà assis. A mon aise. A l’extérieur, une pluie qui redouble d’intensité. Pourquoi pas une petite sieste, tiens. De toute manière, je ne rate rien. Sharrie Williams, laisse-moi rire. Et aide moi à trouver une position confortable. Dis donc, c’est pas évident de dormir dans une voiture. Et il ne me reste plus que 3 pastilles
pour toute la soirée. Tuf tuf. Et tuf. Mais quelle mouche m’a encore piqué, nom de dieu. Qu’est-ce que je fous, ici ? Tout seul dans un parking, malade, et sous la drache.
J’ai déjà rêvé meilleure situation. Plus romantique. Plus rose. Plus, quoi. Et impossible de fermer l’oeil, avec tout ça. Et cet auto-radio
qui me nargue. Il veut briser le silence. Puis qu’il me cherche ainsi, il va me trouver. Tiens, la démo du prochain Jesus Volt, avale !
Je la découvre en même temps que lui. L’album sortira sans doute dans quelques semaines. Toujours produit par l’acolyte d’Arno, Jean-Marie Aerts. Et à première vue, c’est une bonne surprise. Du blues habité. A des lieues des disques de blues bien polis, bien ficelés, mais tellement prévisibles. Electro Button Funky CoXXX.
Quel beau titre. Semble assez déjanté, ce disque. Vivement qu’il s’écoute et qu’il se vende.
Mais l’heure avance. Déjà 21h15. Enfin 21h15. Et dans quelques instants commencent James Harman & Tee. Oui, vite, sortons affronter ce déluge. Tiens, il y avait une friterie sur ce parking.
Elle m’avait échappé, tout à l’heure. Pas cette fois. Par contre, les ados du coin qui ont fichu le feu à cette poubelle, eux, ils ont bien déguerpi, les bougres ! Roulez, jeunesse.
Retour donc à la case départ. Sous le chapiteau. Dans les premiers rangs. Pour la deuxième véritable attraction du jour. Un autre projet éphémère. L’américain James Harman qui passe l’Atlantique pour à peine 3 soirs. Et autant de concerts avec comme backing band, Marc Thijs et son groupe Tee.
Ou quand cette fameuse West Coast, et l’un de ses plus dignes représentants, se mélange à la Belgique. Pour le meilleur et pour le meilleur. Cela va de soi. Comment pourrait-il en être autrement ?
Et devant la scène, ça grouille de monde. Et du beau, svp. Juste à côté de moi, Big Dave venu voir de plus près son ancien collègue Marc Thijs. Ah, mince, un coup de blues m’envahit. Les Electric Kings, putain, quelle époque ! Ca me manque, tiens. Pour revoir ces 2-là jouer ensemble, faut dorénavant flairer le bon coup. Une jam par-ci, une autre par-là. Mais plus de projet concret, hélas.
Mais arrête tes simagrées, mon cher, ça commence. Tee sur scène. Marc Thijs à la Gibson. Accompagné de ses habituels batteur, bassiste, organiste et saxophoniste. Et d’entrée de jeu, un blues lent. Qui permet une nouvelle fois de tomber à la renverse devant le talent de Tee. Quelle phrasé, nom de dieu. Une voix à en faire pâlir plus d’un. Attention, ce n’est pas une voix d’or, hein. Bien au contraire. Mais c’est cette façon de chanter qui laisse baba. On se croirait en plein drame. Il vit le truc jusqu’à l’os.
Et évidemment, c’est communicatif. Tout le monde est affolé. Rien de plus normal. Tee est un surdoué, un point, c’est tout. Le blues des années ’40 à ’50, il nous le livre à la demande. Et en remet une couche. Quand il faut. Et comme il faut. Mais en encore mieux.
La classe incarnée, le gars. Costume, regard, guitare. Tout scintille de mille feux. Et ce concert de juin 2001 au Botanique qui remonte
à la surface. Ce fantastique souvenir. Le meilleur show blues que j’ai vu jusqu’à ce jour. Et ces images qui réapparaissent. En direct devant moi. Rejouées à la perfection. Et en condensé. C’est sublime.
Tout vient d’être dit par Marc Thijs et ces 2 morceaux d’ouverture. Tout en finesse, en swing, et en intelligence. Reste plus maintenant qu’à accueillir l’harmonica et la voix de James Harman.
De Monsieur James Harman, pardon. Qui nous vient là avec un look assez nouveau. Chemise hawaïenne et barde à la Billy Gibbons. Tel un vieux baroudeur à qui on ne la fait plus. Un coup d’oeil à sa valisette d’harmonicas. Choisir le bon. Un regard complice à chaque musicien. Et c’est parti, mon kiki.
Pour à peine la seconde rencontre live de ces hommes. Juste un concert de la veille à Marcq En Baroeul en guise d’unique répétition. Et celui de demain comme conclusion. Et c’est tout. Nous voilà donc à mi-chemin de cette aventure. Profitons-en donc. Ca va être court.
Et ça va être bon. Et putain, ça l’est ! Harman picore dans sa discographie perso. A notre plus grand bonheur. Des shuffles vraiment dégoulinants. Qui me font crier de plaisir. Avec le peu de voix qui me reste encore.
Tout cela est magistral. Du blues à l’état pur. Plus vivant que jamais. Qui dévaste tout sur son passage, dont l’infâme blues rock actuel. Ici, on joue dans une autre catégorie, kids. Ici, il y a de l’âme. Du sexe. Mais du sensuel, hein. Pas du grotesque. Pas du facile. C’est fantastique. Comme dans un rêve.
Et pourtant, on ne rêve pas. J’ai beau me pincer. Je m’attendais à prendre une telle claque, en plus. C’était joué d’avance. Mais quand même, quelle confirmation !
Et ils ratissent large, les fous. Un petit air de rumba est lancé par Harman. A qui Marc Thijs donne la réplique. Dialogue cocasse entre un harmonica et une Gibson. Et ils prennent un plaisir monstre en plus.
Tout en restant très professionnels. A la manière de James Brown et ses JB’s, Harman dirige la meute d’un simple geste. Mais encore faut-il qu’il en ait vraiment besoin. Ces gars-là savent ce qu’ils ont à faire. Et font partie d’une engrenage. Et tout tourne. Comme il faut. Ca semble inné. Une telle cohésion acquise en si peu de temps, ça laisse rêveur !
Tout comme le jeu de guitare de Marc T. Personnage assez difficile, s’il en est. Mais qui aujourd’hui se montre discret, laissant la place à qui de droit. Avec discrétion et pertinence. Que dis-je, avec impertinence. Des notes incisives, très fines et porteuses de l’ensemble.
Mais les meilleures choses ont une fin. Dis donc, c’est vraiment passé à la vitesse de la lumière. Aller simple vers le paradis blues. Le retour ne sera pas évident. Ce set fut magistral. Avec un grand M. Un grand A. Un grand G. Un grand I. Un grand S. Un grand T. Un grand R. Un grand A. Et un grand L. M-A-G-I-S-T-R-A-L.
Ca m’a laissé sans voix. Il y a comme ça de ces concerts qui te prennent aux tripes que t’en as même des battements de coeur à la fin. Tellement, c’était bon. Je dois sans doute être trop émotif, mais je voudrais bien t’y voir, tiens !
Après ce choc, je passe quand même ma tête backstage. La bande à Sharrie Williams se prépare à mettre les voiles. Frank Goldwasser discute sagement. Quelle belle journée. Et tout ça grâce à la côte ouest de la Californie. Et à ses dignes héritiers.
Mais je n’en peux plus. Je suis si bien sur cette chaise. Plus la force de me relever. Vais pieuter ici, si ça continue. Mais bang boum. Des coups de grosse caisse de l’autre côté du rideau me sortent de mon quasi sommeil. C’est que, oui, où avais-je la tête, ce n’est pas encore fini.
Il y a encore la tête d’affiche qui doit jouer. Mais les miennes sont déjà passées. Déjà rangées dans la case souvenirs. Et Shemekia Copeland, alors ?
Bon, d’accord, je vais jeter un oeil. La miss, 23 ans au compteur, fille de Johnny C., et très imposante. Physique, voix, charisme. C’est du gros show. Avec une entrée en scène digne de ce nom. Band assez costaud. Ouverture sur “wild wild woman”. Flying V. Et please welcome de circonstance et tout et tout. Quant au reste,
ce sera pour une autre fois, désolé. Trop crevé sur ce coup-là.
Mais cerise sur la gâteau, pour couronner la journée, il faut repasser par cette splendide pelouse. Qui s’est transformée en véritable marécage. Toujours marcher dans les pas du précédent, dans ces cas-là. Et ça paye ! Nous voilà sans trop de mal arrivés à l’extérieur.
Quelle délivrance. Souvent un moment très intense. Celui où l’on retrouve la voiture après des heures de concert debout. Un pied inouï. Qui redouble d’intensité une fois qu’on plonge dans son lit. En pleine nuit. Et d’autant plus aujourd’hui.
Après une semaine de maladie. Qui touchait tout doucement à sa fin. Mais je crois bien qu’après tout ça, c’est reparti pour un tour. Je l’aurai cherché of course, mais on a que le bien que l’on se donne, non ? Mais gaffe, à ce rythme-là, ils vont m’envoyer le médecin-conseil, si ça continue.
Ah, un instant, on frappe à la porte.
Spring Blues Festival – Ecaussinnes – 24 mai 2003
Yann