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Keziah Jones – Botanique – 31 mai 2003

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Oui, oui. Mais qu’est-ce que tu veux que j’ajoute à ça, moi ? Oui, tout est relatif. Oui, la vie est injuste. Et oui, tu as sans doute raison. Mais on ne va quand même pas réécrire l’histoire, non ? Allez, finis ton verre et on y va. Et tu rouleras là-bas. Ce n’est pas mon problème. Mais ne boude pas, enfin ! Tu sais quand même bien que j’ai horreur de ça. Ces conversations de café où on refait le monde. Ca m’a toujours couru sur le haricot princesse. T’avais oublié ? Mais ne sois pas désolé, enfin. C’est de ma faute aussi. Non, non, excuse-moi. Allez, viens là. Dans mes bras, vieille fripouille !

Il est chouette, mon cousin. On s’aime bien finalement. Quelques frictions de temps à autre. Mais c’est pour la forme ! Tel un vieux couple. On se rentre dans le lard, on se dit ses mille et une vérités. On est même relativement différents l’un de l’autre. Mais au fond, on s’aime beaucoup.

Mais à petite dose. Comme à l’occasion d’un concert, par exemple. Là, c’est parfait. Pas besoin de trop parler. Un peu avant et un peu après. Juste ce qu’il faut. Pas le temps de rentrer dans telle ou telle discussion. Oui, vraiment, c’est ce type de soirées-là qu’il nous faut. A mon cher cousin Michael et à moi-même.

Et à vrai dire, c’est avec soulagement que nous entendons la cloche sonner. L’ambiance devenait un tantinet trop tendue pour garder le sourire. Aussi bien pour lui que pour moi. C’est kif kif bourriquot.

Driiiiiiing. Ni une ni deux, on quitte donc la cafétéria et nous dirigeons vers l’Orangerie. Un peu tard pour les premiers rangs. Au fond à droite près de la console suffira aujourd’hui.

Et pour une fois, c’est avec joie que j’attends la première partie. Baï Kamara Jr. Qui doit d’ailleurs une fière chandelle à Radio 21. Des semaines et des semaines qu’on entend son single. Ca aide évidemment. Mais pour une fois, ce matraquage se fait à juste titre. Il est même indispensable. Pour nous. On a besoin d’artistes
pareils.

Ce gars vit à Bruxelles depuis plus de 10 ans mais est originaire de Sierra Leone. Et il s’exprime dans un français hésitant. Cela lui donne d’autant plus de charme. Ah, oui, that’s it. Il est tout à fait charmant. Genre “j’ai du talent, mais écoute, ce n’est pas de ma faute, hein”. La modestie incarnée. Avec un petit sourire complice. Et l’oeil pétillant. On lui donnerait le bon dieu sans confession.

Et pour le set de ce soir, c’est en formule duo qu’on le retrouve. Lui en leader avec sa guitare acoustique et Eric Moens à l’électrique.

Et débarquer ainsi sur scène est une très bonne idée. Parce qu’il faut bien avouer que Baï Kamara navigue dans les mêmes eaux que l’ami Keziah. Tant mieux pour lui serait-on tenter de dire. Oui, oui, mais il y a des limites. Pas de redite, svp. Surtout éviter ce piège-là.

Et ô divine surprise, il y parvient sans difficultés. Carrément les doigts dans le nez. Cette image blufunk qui lui colle à la peau à
cause de son single “downtown in St Josse” s’évapore. Ou se transforme plutôt. En quoi, je ne sais pas. Enfin, pas précisément.

En quelque chose de magique en tout cas. Vraiment. La grosse découverte belge of the year. Sans conteste.

Il est là sur scène en tout simplicité, en sweat bleu. Son ami Eric à ses côtés. Leurs 2 guitares. Et rien de plus. Si ce n’est, cette fraîcheur dans le répertoire. Du funk et de la soul. Oui, de la soul. De l’âme. Et ce Monsieur Moens à l’électrique qui distille ici et là des notes limpides à souhait à la Philip Catherine. It’s so
beautiful.

Et je suis en fait surpris. Comme quoi, aujourd’hui, ça peut encore arriver. Qu’un nouveau venu parvienne à nous émouvoir. Sans qu’on ne s’y attende le moins du monde.

Un coup d’oeil à mon cousin. Il a l’air satisfait. Il connaît l’album, lui. Parce qu’au fond, ce Baï Kamara, c’est un petit peu le truc underground du moment. Le truc in. Il aime bien ça les trucs in, mon cousin. Même si c’est mauvais. Mais je l’aime bien mon cousin. In ou pas in. Je l’aime bien, un point c’est tout.

Et dis donc, à voir les mines réjouies autour de moi, ce Baï Kamara fait l’unanimité. Tout le monde semble sur un petit nuage. Ce mec parvient à nous toucher. Avec ses quelques chansons habillement ficelées. De la mélancolie, un force dans le chant, un jeu de guitare très accrocheur et puis une intelligence qui englobe le tout. C’est parfait. Rien à redire.

Si ce n’est “encore !”. Je reconnais dans le tas l’autre single “the powers that govern us”. Qui brille par sa douceur. Une véritable berceuse. Mais pour adultes.

Pour adultes consentants. Et t’as envie de le suivre. Partout. De soir en soir. Pour entendre cette voix chaude. Pour le voir. Lui. Baï Kamara. Lui-même. Parce que tu sens que lui, il t’a compris. Il joue ce que tu veux entendre. Ce que tu veux écouter. Ce que tu dois écouter même. Au bon moment. Et avec les mots qu’il faut. Avec du tact.

Quant au reste… bah, qu’il reste justement là où il est. Qu’il devienne superflu l’espace d’une petite heure. C’est tout ce que je lui demande à ce fameux reste. Qu’il me laisse pour une fois en
paix. En tête à tête avec la sagesse de Baï Kamara.

“If I don’t cry
If I don’t smile
I don’t really want to talk
Don’t ask me why
Don’t wait a while
I’m not going to say that much”

…qu’il chantonne dans “a lonely moment with you”. Des paroles toutes simples. Très ordinaires. C’est la vie qu’il met en musique. Pas celle des grandes causes à 2 dollars 50. Non, non, la banale. La nôtre en somme.

Baï Kamara a tout compris de A à Z. Et même plus loin. Il a ajouté des lettres. Pour utiliser son alphabet à lui. Et l’enseigner à qui veut l’entendre.

Et je signe dès aujourd’hui. Il m’a tout simplement conquis. Je veux le revoir. Et j’irai le revoir. Dans un petit bar à 23h00. En festival à midi et demi. Ou en première partie de X. Ou même de Y, soyons fous. N’importe où. En solo, en duo, en quartet. Comme il veut, c’est lui qui décide. Doit avoir des pouvoirs, le jeune homme. Mais ce n’est pas de la magie. Juste du talent. Et
du coeur.

S’il veut, il peut aussi être mon cousin. Et on passera des soirées entières à discuter. Enfin, juste lui. Moi, je ne ferai qu’acquiescer d’un geste de la tête. Parce que lui, au contraire d’autres, il met le doigt sur nos faiblesses. Nous met le nez dedans. Et nous renvoie notre image purifiée. Ou en voie de le devenir.

Et c’est vrai qu’après ces 50 petites minutes, je me sens léger comme une plume. Il n’y a plus qu’à souffler pour que je m’envole. Mais encore une fois, je ne peux pas le faire tout seul. J’ai déjà tenté pourtant. Une petite aide venue de l’extérieure est la bienvenue. Mais c’est la dernière fois, je te jure.

Puis-je compter sur Keziah Jones ? Aucune certitude à ce sujet. Oui, son dernier album Black Orpheus est excellent. Jetant les 2 précédents aux oubliettes. Oui, son showcase solo d’il y a à peine un mois fut époustouflant. Oui, oui, oui et re-oui.

Oui mais. Nos 2 autres rencontres live avec lui, avec son band cette fois, on ne les a pas oubliées pour autant. Surtout la dernière en date vers ’99 dans ce même Botanique. Punaise, quel pénible souvenir. Keziah Jones qui nous faisait bailler. Enervant d’un bout à l’autre. Par l’envie d’en mettre plein les yeux. Trop la carte de la démonstration. Et vas-y que je me lance dans une impro qui arrive nulle part. Et vas-y qui je joue avec mes abdos. Et vas-y que.

Bref, pour l’instant, l’avis sur la facette live du gaillard est en demi-teinte. Mais il n’y a rien à faire. Comme il nous a subjugués 2 fois sur 3, on continue. Encore et encore. A y croire.

Et au vu de son entrée en scène, c’est à juste titre. Avec un morceau assez étonnant. Que Keziah Jones commence seul à la guitare. Chaque musicien le rejoignant tour à tour à chaque couplet. Pour finir au complet, à 6, après quelques minutes. Une
sorte de “mama don’t” de JJ Cale, mais à l’envers.

Typiquement ce qu’il fallait pour surprendre l’auditeur. Parce que oui, on ne s’y attendait pas. A être d’emblée plongés dans un univers funk, moite à souhait, complètement dégoulinant.

J’ai même l’impression que cette fois sera la bonne. A 6 sur scène donc. Mister Jones, une choriste, un bassiste, un batteur, un clavier, et un percussionniste. Une salle sold-out à leurs pieds. Et une chaleur assez envahissante. Bref, une ambiance de club parfaite. Tout ce qu’il faut pour rendre ce concert mémorable. Du genre brûlant.

Et suffit de demander. Pour que cela ne se produise pas. Mais alors pas du tout. La dégringolade absolue. L’entrée en matière fut somptueuse, ça oui. Pas de problème. Mais la suite… un enchaînement de morceaux plus beaux les uns que les autres. Sur albums. Parce que live, c’est une autre histoire.

Une sorte de bouillie sonore sans goût. La sauce ne prend pas. Un clavier trop présent et franchement inutile vient gâcher la fête. Beaucoup trop souvent. Un bassiste qui veut faire des siennes. Et qui ne se gêne d’ailleurs pas. Mais il y a des limites à tout.

Et toujours cette touche d’espoir à la fin de chaque morceau. Le prochain sera le bon. Hélas, non. Ainsi passent devant nos yeux, sans aucune lueur, des extraits du nouveau disque. “neptune”,
“femiliarise” ou encore ce fantastique “kpafuca”. Oui, fantastique, il y a encore un mois, quand il nous le jouait un midi en solo dans le forum de la Fnac. Comment peut-il être passé d’une telle grâce à une telle lourdeur.

La voix est pourtant la même. La guitare aussi. Toujours ce même chiffon rouge qui étouffe le bout du manche. Que passa ? Ce ne peut être la faute du band. Impossible. Chaque musicien a l’air talentueux. Mais chacun pris à part.

Aujourd’hui, le courant ne passe pas. Et ça me fait mal au coeur. Qu’un artiste pour lequel j’ai beaucoup d’estime se montre décevant une fois sur deux jusqu’ici. Le répertoire est d’enfer. Vraiment d’une qualité affolante. L’approche du funk, l’écriture, le chant. Tout sort du lot chez lui.

Alors quand on le sent à côté de ses pompes, ça fait mal. Très mal. T’as presque envie de lui donner une petite gifle pour qu’il se réveille enfin. Pour qu’il arrête ses simagrées. Et qu’il se concentre un bon coup. Qu’il se reprenne en mains une bonne fois pour toute. Mais pas demain, hein. Toute suite, maintenant, à l’instant présent. Avant qu’il ne soit trop tard.

Et il ne suffit pas de balancer 2 ou 3 titres tirés de Blufunk Is A Fact pour faire passer la pilule. Evidemment qu’on est heureux de les entendre. Ce premier album est exemplaire d’un bout à l’autre. Sans exception. Alors quand son auteur le joue devant nous et rien que pour nous, on l’accueille avec joie. Normalement. Parce qu’une fois de plus, bordel, je ne pige rien. “where’s life”, “the wisdom behind the smile”, etc. Oh et puis merde.

Keziah, je t’en veux. Et ton humour potache de ce soir n’arrange rien. Comment peux-tu tomber si bas. Je sais que personne n’est parfait. Tout le monde a droit à son moment de faiblesse. Le mien dure d’ailleurs depuis belle lurette. Oui, mais moi, on s’en fout. Toi, tu es Keziah. Keziah Jones. Le blues, le funk, la soul, le rock. Tout ça, tu connais par coeur. Et tu nous l’as déjà livré de manière irréprochable. Dans le passé. Et sans doute dans le futur. Mais le présent, Keziah, le présent ?!?!?

Of course, et c’est le coup classique, suffit de râler un bon coup pour qu’on soit soi-même giflé. Par un coup d’éclat venu de nulle part. Le passage solo acoustique en milieu de set. Trois morceaux éblouissants. Emouvants de beauté, de maîtrise. De l’art, tout simplement. On en verserait presque une larme. Grâce à ce “pleasure is kisses within” de ’92 par exemple.

Une leçon se savoir-faire dans le singersongwriting. C’est toujours une sensation très étrange d’avoir un gaillard face à nous. Avec sa seule guitare. Et sa voix. Et qui fiche la chair de poule avec quelques notes, quelques mots. Emotions fortes garanties.

Et après ça, je lui pardonnerais presque ses égarements. Parce que rien que pour ces 10 minutes-là, je serais venu. Il faut vivre de tels moments. Mais avec modération. Quelques fois par an, l’une ou l’autre chanson par tel ou tel artiste. Qui nous bouleverse en 2 temps 3 mouvements. En plein milieu d’un show classique.

Comme l’ont fait cette année, Mc Cartney avec “blackbird”, Springsteen avec “the river” ou encore Elliott Murphy avec “ground zero”. Des moments rares qui nous font tout remettre en question. Sur le moment même.

Et avec tout ça, j’en oublie presque mon cousin. Il a l’air bien, lui. Un peu dans les vapes, mais bien. Les vapes. C’est peut-être pour cela qu’il a l’air de tant apprécier le Keziah de ce 31 mai.
Le voit-il autrement ? L’entend-il différemment ? Who knows.

Une chose est sûre. Il l’applaudit de la même manière pour cet instrumental de fou. Un jam de plus d’un quart d’heure. Qui part dans tous les sens. Jones se contentant de diriger son band dans
telle direction. Il est cette fois dos au public. Lançant le bassiste dans un solo. Invitant le batteur à reprendre un rythme plus soutenu. Ou encourageant le percussionniste à se munir du
saxophone bien venu. Oui, mec, c’est dans cette direction là qu’il eut fallu aller aujourd’hui. Celle de l’alchimie. La vraie. Pas la chiquée.

Mince alors. J’en ai trop entendu ce soir. Un show d’une telle inégalité offert par un des mes favoris, c’en est trop. Je me casse. Ce n’était pas la bonne. Vraiment pas. Peut-être même le pire
concert de Keziah Jones que j’ai vu jusqu’ici. Punaise, il m’a énervé. Mais j’irai le revoir. A chaque occasion. Jusqu’à la fin.

Viens Michael, on va aller le finir notre verre. Au calme à la cafétéria. Au loin, le rappel avec “rythm is love”. Mon cul, oui. Rien à faire que le rythme, c’est de l’amour. Je préfère ces bonnes vieilles conversations sans fin avec mon cousin. Avec mon ami. Et même qu’on va refaire le monde. Et même que la vie est injuste.

Puis d’ailleurs, Keziah Jones, ce n’était que la deuxième partie de Baï Kamara. Et ça, ce n’est pas facile tous les jours.

Keziah Jones – Bruxelles – 31 mai 2003

Yann

PS1 : revu au festival de Nandrin ce 9 août 2003 et… absolument renversant !

PS2 : review du showcase du 25/04/03

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