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LE BLUES TOTAL AU SPIRIT

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FIVE HORSE JOHNSON / SPIRIT / 11 JUIN 2002

Ce n’est pas du retard, les grands événements restent toujours éternels mais la création d’un bon site comme le musicinbelgium.net mérite du soutien et ce papier consacré à un groupe phénoménal, véritable tenant du blues moderne doit y avoir sa place, de même que la reconnaissance absolue par tout ce qui bouge dans le rock du travail merveilleux, inlassable et pertinent accompli par Francis Géron, à Verviers !
Imaginez un seul instant qu’AMERICAN DOG ait fait un môme à Zakk WYLDE et ZZ TOP ensemble et vous découvrirez la tape exacte de FIVE HORSE JOHNSON. Même Kilminster, qui pourtant sait en faire des tonnes, devrait aller changer de Tshirt devant ces gars-là. Et qu’on ne dise pas que j’en remets. ROMAN le chroniqueur de service de « LUKE (UK) » met la gomme pour décrire le band : « If you like the idea of Canned Heat jammin’ with Sabbath, produced by Captain Beefheart then get on the Horse ! » On ne peut mieux dire… Le Spirit of 66 a déjà connu deux fois le blitz du Chien de Columbus, aujourd’hui le Cheval de l’Apocalypse nous attendait. Et tout cela nous vient d’OHIO dis donc (yodidon). Dingue ce que c’est grand le rock and roll quand même !!!

On aura beau nous dire que c’est toujours la même chose, que c’est basique et tout… ben non. Foutaise tout cela. Le rock and roll ça donne envie de vivre et ça peut changer le monde. C’est fait de sueur et de rage mais cela part toujours d’un bon sentiment. Quand ça décoiffe, ça aère en même temps, quand ça défonce, ça chamboule tous les préjugés, quand ça explose ça recompose ton univers vu que les morceaux ne tombent jamais à la même place et si t’en prends un sur la gueule, si tu dégustes, tu t’en sors encore parce qu’au bout du manche de guitare il y a toujours les traces de la route, les trouées d’un solo déchirant ou divin, les déferlements de basse qui te remettent debout dans une vague de beats lumineux et salvateurs (ouh ! là je m’arrête, j’en fais trop? je vais me choper le prix des lecteurs de « La Croix » si je continue).

Bref, quatre opus principaux sont venus pimenter jusqu’à présent le parcours du groupe. Une première contribution historique au blues, intitulée « Blues for Henry » a été enregistrée live en 1996, par 5HJ, à Griffin’s Hines Farm (Toledo/Ohio), c’est un document inestimable dédié à un endroit mythique. C’est là que se sont produits, dès les années quarante et jusqu’aux seventies, les plus grands (BB King, Count Basie, Jimmy Reed, Little Ester Phillips, Bobby Blue Band) dont John Lee Hooker qui avait d’ailleurs sa chambre personnelle dans la ferme de Frank et Sarah Hines. Le club a fermé fin 1970 puis a été réouvert par Henry GRIFFIN, le Francis GERON local : qui reçut d’ailleurs le Little Walter Blues Award en 1993 (Griffin pas Géron malheureusement). Je ne peux, toutefois, m’empêcher de faire un rapprochement entre Toledo et Verviers qui gardent autant la flamme et la présence de FIVE HORSE JOHNSON, ici, ce soir, qui procède d’une symbolique touchante.

Second CD : « Double Down » de 1998, tout simplement fabuleux. Rien à jeter, hardos et bluesy comme c’est pas permis. Eblouissant par ses titres « Downstone Blues », « Double Down » et « Roll with You ». « Submission » m’a laissé sur le cul, discret clin d’oreille à « Jumpin Jack Flash », d’une pureté académique déconcertante.

« Fat Black Pussycat » (1999) que j’avais loupé avant ce jour béni est le troisième opus en gradation sonore très marquée par rapport au premier. Il annonce le son grandiose de « The N° 6 dance » de 2001 (c’est le titre oui) jamais égalé, à ce jour, sur l’échelle de Rockchter. Rien à voir avec le Hillbilly croyez-moi. Son blues final de 14’15” « Odella » clôture une rondelle d’enfer qui peut faire cramer votre matos. Ecouter cela deux fois de suite, c’est la quinzaine de repos obligatoire immédiate. That’s a real fire rage, guys !!!

Pas démesurés les gars, non, mais franchement heavy quoi? Le rentre dedans ‘balam balam’ qui assure. Ca sent bon le Sud tout en caressant le métal. Pas celui des usines : celui des gros cubes ou des chromes de motos. L’harmo te dégouline là-dessus comme une sauce chili sur la bidoche. T’en as plein les chailles et ça brûle mais c’est si bon !!!

Ce combo existe depuis à peine six ans et c’est déjà une légende. Bien sûr le parcours des musiciens est plus varié mais la mise d’origine est sincère et totalement made in southern rock, je peux vous le garantir.

Avant d’intégrer FIVE HORSE JOHNSON, Eric Oblander (vocals) et Steve Smith (bass) avaient fondé ‘Gone in Sixty Seconds’ qui réalisa deux albums pendant que Brad Coffin (guitar) se démenait dans le groupe proto-funk The Great B-B-Q Gods (tiens donc?). Le premier batteur, Jim Armstrong, a passé du temps au Ghana pour y étudier les percus. Aujourd’hui, après Tim Gahagain, c’est Mike Alonso qui tient les sticks.

Tout cela c’est bien beau, mais le show alors ??? Eh bien, je ne vous étonnerai pas en disant que le band à mis le feu aux rideaux ce soir. Même les poignées de portes sont devenues incandescentes… Fallait prendre les chopes avec les dents, les tables fondaient… énorme…

Nos bonshommes ont un look rock and roll incontournable. Il y a ceux qui font comme si mais ceux-ci sont comme ça. Pas d’hésitation possible sur la sincérité des gaillards, la volonté d’entrer directement dans le vif du sujet et le dépouillement de leurs bonnes intentions. Un son brut, épais, lourd et tranchant met directement les choses au point. La détermination est totale et le ton est donné d’entrée de jeu avec « Lollypop » (N° 6 Dance/2001). Grand comme entame, respectable et impressionnant. Pas l’impression qu’on va s’emmerder ce soir…

Faut dire que la salle est comble (génial pour Francis qui démontre une fois de plus son flair évident pour ce genre de gig) et qu’on a affaire à une audience de connaisseurs. Ceux que l’effort ne rebute pas et qui vont vraiment au charbon quand il faut découvrir du tout bon. Même Belgacom Claudy est là dis donc (ladidon). Shooting Alan sans le bitos, Steph (qui se fait son troisième concert au Spirit en 72 heures, après Doc Holliday et Vandenplas : du jamais vu !), les potes de CPPP, décidément assidus, Antoinette, JM de Seraing, Jacky et tant d’autres que j’oublie…

« Fly back home » (Fat Black Pussycat/1999) et son intro à la Gibbons (j’ai pas dit Gibson hein !), donne du punch puissance carrée aux spectateurs pour engager le combat âpre et intense qui les attend. « Gods of demolition » (N° 6 Dance/2001) n’aura jamais si bien porté son nom. On entre dans une autre dimension sonore, plus loin que Mach 2, passé le descriptible, entre le souffle des forges et la stridence des locos. Un martèlement de beats implacables transcende le corps et l’esprit, chauffe les neurones à blanc et envahit tout l’être de part en part. C’est du délire dans la salle. Faut dire que les transes oculaires d’Eric Oblander et son déchaînement quasi-chamanique sont impressionnants. Il entre en osmose complète avec son art et transpire (c’est vraiment le cas de le dire) l’image du gars sur la deadline, engoncé dans un trip qui peut dégénérer. En fait, on est loin du cinéma et des effets de manche, « Shine Eyed » (Double Down/1998) Whishing Well »(Blues for Henry/1996) et Let me in »(id.) nous mettent à des années lumières de ce que le conformisme artistique pédant et la bienséance culturelle bêlante nous imposent tous les jours.

Le medley « Hollerin’/Rain » cassant comme du verre prépare un « Sermons in the Yard »(FBPC/1999) hypnotique, démesuré, ahurissant. A peine remis de nos émotions, le vaisseau redémarre vers la stratosphère en effectuant le plus beau splashup sur le Mississipi qu’il m’ait été donné de connaître. (« Mississipi King »/N°6 Dance). Du délire ! ! ! My oh My, incroyable explosion de bonheur dans la salle…

Il y a derrière tout cela un cogneur hors normes qui doit répondre au doux nom de Mike ALONSO et qui nous a fait une démonstration de puissance, de clarté et de détermination irréprochables (il en est même arrivé à casser net en deux sa pédale de grosse caisse). Pas gros le gaillard mais impressionnant de cohésion et de force mélangées, capable de superposer les roulements en croisant les syncopes et de relancer ses propres démarrages entre les coups. Exceptionnel ce qu’il a fait là ce soir ! ! ! Il nous a amenés dans une autre galaxie, on a traversé le mur. Le monde, vu de là, est ridicule, toutes les fadaises, les raideurs ou les conneries disparaissent. On est dans la zone du défi, de l’élan, des certitudes, transpercés par la conviction que les frontières du rythme sont dépassées et que nos battements de coeur redeviennent ombilicaux. C’est la gagne, absolue, TO… TA… LE ! ! !

Tout vient à peine de commencer, on est dans le retour du saut à l’élastique. Au moment où le choc est passé et où le corps s’évanouit dans une espèce de torpeur relâchée et innocente. Cet instant où les sens, à l’abri de la crainte, flottent dans les limbes du plaisir. L’intense satisfaction de participer à un événement exceptionnel se lit sur tous les visages moites mais lumineux.

La densité émotionnelle de ce show est impressionnante. Eric Oblander lui donne une force peu commune. Son jeu d’harmonica et l’utilisation vocale du micro-harp ajoutent une intensité terrible au concert. Ce qu’il donne est démesuré. Je croyais avoir tout vu en la matière, je me trompais. Il ajoute une ligne sonore à la fois chaude et dramatique à cet ensemble qui te passe sur le corps comme un rouleau compresseur.

A ses côtés, Steve Smith assure de manière étonnante une surpression phénoménale. Et pourtant ce gars joue cool, tout en finesse, avec un naturel déconcertant, ne donnant jamais l’impression de forcer, soixante kilos à tout casser, on dirait que sa basse est plus lourde que lui. Il fait presque penser à un ange tellement son jeu paraît aérien. (Mais rassurons-nous, il y a quelques milliers d’heures d’entraînement là derrière).

Me reste à parler du guitarman de service, Brad Coffin, si j’ai bien tout compris… Le guitariste aux plus beaux et aux plus larges grands écarts digitaux du monde. Une prise en main du manche digne d’un joueur de base-ball. Je ne pense pas avoir déjà vu un musicien qui serre aussi fort les cordes et qui empale aussi bien le son. Il y eut dans sa prestation à la GOYA Rangermaster des moments de bravoure hors normes inoubliables. Ce jeu appuyé mais plutôt rentré n’a pas l’air spectaculaire et pourtant… il est d’une redoutable efficacité. Il nous a sorti quelques remontées de manche à tomber mort. Appliqué, intensément déterminé, ce guitariste résout toutes les difficultés à l’arraché, sans faille et avec conviction. Un jeu plus athlétique qu’il n’y paraît. D’ailleurs les rivières de sueur sillonnant sa caisse de guitare en disent long sur la performance. Il apporte également une contribution indispensable aux vocals. Un petit génie Braddy.

« She don’t know » (FBPC/1999) et « Silver » (N°6 Dance /2001) ont allumé le feu d’artifice final homérique préfiguré par l’immense « Lightning When I Need »(FBPC/1999) et son solo de guitare fabuleux (chapeau vraiment). Les rappels sur « How many more years » de Howlin Wolf (m’a soufflé à l’oreille Stephane Pire, merci l’équipe) et « It ain’t easy »(N°6 Dance) relèvent du surnaturel. Il est impossible d’exprimer le mix de force tranquille et de puissance démesurée que le groupe est capable d’exprimer dans un élan commun. On est dans le heavy et le southern les plus achevés quoi qu’on pense. Ce qui paraît dur renforce instantanément les lignes mélodiques déchirantes de simplicité et de beauté. Le paradoxe majeur de ces assemblages nous ramène invariablement au BLUES dans toute sa splendeur. Quelle pêche ! Quelle baffe salutaire ! Oui le Rock est simple, oui le Rock est beau. Il ne s’embarrasse pas de fioritures mais scintille d’éclats merveilleux où le brut et le rude caressent immensément les sens, le coeur et l’âme. C’est l’ensemble le plus tendre que je connaisse.

DD

2 thoughts on “LE BLUES TOTAL AU SPIRIT

  • Merci et bravo pour cette review passionnante pour ceux qui ont raté le concert.

    J’espère que ça donnera envie aux curieux de venir découvrir l’ambiance de la mort qui tue au Spirit of 66.

    A quand d’autres comptes-rendus ?

    Tu seras toujours le bienvenu ici.

    PEACE,

    FoxBoy.

  • Ce qu’il y a de bien avec les commentaires à DD, c’est qu’on revit le concert une seconde fois… mais en mieux ! D’abord, il se documente, le bougre, à fond ! On sait tout du groupe : avant, pendant et après le concert, discographie et petits potins, tout y est ! Ensuite, pour l’avoir bien observé pendant les concerts, je n’arrive toujours pas à comprendre comment il arrive à prendre autant de notes sur un seul sous-bock de bière ou dans un callepin minuscule qui doit bien faire 3 cms sur 6 cms. Il voit tout, il enregistre tout.. même des choses où je passe, moi, largement à côté…Tout ça remixé et distillé dans un verbiage perso qui me fait toujours marrer… le roi des fintes à deux balles (c’est lui qui le dit) frappe toujours fort… mais juste ! A mon avis, il doit avoir lu des tas de bandes dessinées dans sa jeunesse… le texte à DD ,c ‘est le dessin animé “écrit”.. ça vit !

    Quel plaisir il nous donne à pouvoir revivre ces merveilleux moments que nous donnent ces artistes… Merci DD surtout, continues comme ça !

    Francis / Spirit of 66

    http://www.spiritof66.com

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