Le retour du Swamp Fox
Le 5 septembre 2006 est annoncée la sortie mondiale de “Uncovered” le nouvel album de Tony Joe White, l’homme d’Oak Grove Louisiane, né à Goodwill, près de la Beth River. Il fait suite à l’excellent : « The Heroines » (2004) qui rendait hommage aux grandes dames de la country music. C’est en fait le pendant direct, version masculine, de ce premier album de duos.
Certes, entre les deux, le monde ne s’est pas arrêté puisque de tournée en tournée, TJW a atterri au Spirit of 66 en juillet 2005 et qu’il se prépare à remettre cela au même endroit le 18 novembre 2006 avec Jeff Hale aux drums et sans doute Robby Turner à la basse. Il y eut également le « Live from Austin » (1980) CD/DVD de légende, paru au début de l’année, qui fixe une fois pour toute le niveau de jeu du bonhomme. Il s’offrit même à l’époque l’audace impensable de toucher au hip hop avant la lettre (Swamp Rap). Au reste, TJW déborde littéralement d’activités puisqu’il apporte son soutien à tout ce qui bouge dans le bayou (y compris les actions « Katrina »), et, entre autres, à sa fille Michelle pour un dernier opus superbe de finesse et de justesse de ton (« Wandering Road » 2006) ainsi qu’à Lauren Ellis, guitariste flamboyante, qui cherche une voie originale entre Bonnie Raitt et Deborah Coleman (« Feels like family »). On notera enfin la petite escapade pour Jessi Colter, ex (?) Miss Jennings et le sympathique duo « Out of the rain » avec le père Waylon. De quoi prouver que notre alerte sexagénaire a la bougeotte et que sa volonté de découvrir le monde et les hommes (cela dit à titre épicène) reste intacte.
Lors de son retour en Hollande l’été passé, il m’avait confié qu’un duo avec Johnny Hallyday était prévu pour « Uncovered » mais les contacts ont, semble-t-il, avorté. Rien ne dit toutefois, qu’à l’occasion d’un bœuf improvisé sur le circuit français, la chose ne soit pas envisageable…
Revenons-en pour l’heure à ce nouvel album intéressant que la critique américaine qualifie d’emblée de « swampy, funky, and deeply soulfull », ce dernier qualificatif étant plus proche de l’essence même du travail. Dix titres reprenant trois anciennes chansons ainsi que six « duos » sont au menu. (NB : présence des mythiques Memphis Horns sur deux plages).
D’une manière générale, l’album dégage une sérénité et une sorte de quiétude primale. Qu’on ne s’y trompe toutefois pas, les rythmiques « whitiennes » donnent parfaitement le ton. C’est rentré mais c’est musclé. Bien sûr le souffle vocal intimiste de Tony Joe White modèle la tonalité ambiante. Sans larmoiement, avec des inflexions délicieuses, on découvre une nouvelle fois la portée extra-terrestre des harmonies swampy. Remarquable aussi de constater à quel point les invités (de véritables icônes, pourtant) se coulent littéralement dans le son « made in Tony Joe ». Ici pour une fois personne ne cherche à faire son numéro. Il s’agit de rendre accessible l’âme des textes et des mélodies, simplement ! En filigrane, on notera l’émouvante et subtile référence aux racines du blues et à l’esprit de Lightnin’ Hopkins et de John Lee Hooker.
L’ultime version de « Rainy night in Georgia » sort inévitablement du lot. C’est un titre mythique et intouchable devenu avec le temps l’un des plus grands standards de la musique américaine ! On ne va pas s’en plaindre. Quand Tony Joe White nous l’a livrée en 2005 au Spirit of 66 (en hommage ému à Luke Walter Renneboog Junior de Blue Blot) on a pu saisir instantanément l’importance de cette composition hors normes, preuve incontestable que le Louisianais peut tout faire avec classe, en ce compris entrer dans le crossover parfait du music-hall US ! La version « Did somebody make a fool out of you » boostée délicieusement par Eric Clapton permet une nouvelle (et si rare) rencontre académique entre ces deux grands, rien à dire, rien à jeter !
A choisir, pour la troisième reprise, je préfère quand même l’original de « Taking the midnight train » mais bon sang ne saurait mentir, qu’est-ce qu’il dégage comme feeling et comme souffle vital… dans cette petite perle, le brave Antoine Joseph Blanc.
Au programme, un son soft, léger en tonalité mais grave et sensuel dans la fibre vocale. La présence de Mark Knopfler (décidément très en verve après sa collaboration avec John Fogerty) se veut discrète mais redoutablement efficace. Il entre de manière étonnante dans la structure de « Not one bad thought » à l’instar d’une queue d’aronde dans la charpente.
Les chorus et cuivres de « Run for cover » donnent à ce titre un caractère des plus aboutis. Il dispose d’une force mélodique irréprochable. C’est l’entame parfaite pour le CD, d’autant que toute la famille ou presque s’y est mise. « Keeper of the fire » à double entrée mérite l’attention. C’est du Tony Joe White pur jus à écouter le matin en se levant, pourquoi pas !
Je n’ai pas trop aimé « Louvelda » avec JJ Cale. Un peu trop caricatural à mon goût, genre minimum syndical, mais bon, on ne peut que s’incliner devant un assemblage de pointures pareilles. N’importe quel péquenot rêverait d’écrire le millième de cette chanson une fois dans sa vie…
Et comme toujours, j’ai gardé le meilleur pour la fin (ceci n’enlève rien à la qualité du reste, of course). « Rebellion », ma préférée (tiens donc). Du nerf, du coffre et des c… Ecoutez-là, c’est tout.
« Shakin’ the blues » avec Waylon Jennings est un bijou d’orfèvrerie magique, à tomber là et la visite du voisin Michael McDonald (voix et piano) donne à « Baby, don’t look down » des airs de ballade universelle.
Il y a, dans ce disque une immense et lumineuse sérénité, sublimée par des appuis rythmiques qui frôlent la perfection et qui confirment, si besoin en était encore, la maturité de TJW dans son art et dans son inépuisable imagerie mélodique. Ses chansons emplissent l’atmosphère comme des tableaux diffus où se répondraient les parfums de la terre mouillée, les couleurs de la forêt et les clapotis des marais bleus.
DD