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MOONCHILD + Othin Spake, Ancienne Belgique, Bruxelles (Belgique), 28.11.2006

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Encore un projet éclectique et avant-gardiste de Mike Patton. Alors que l’Ancienne Belgique se remet à peine du raid tartare mené par Motörhead la veille, nous revoici devant la porte, dans l’attente d’une cure d’acid jazz expérimental, un genre aux antipodes de ce que peut prodiguer Motörhead. Mais lorsqu’il s’agit de traquer les génies en liberté, l’amateur de sensations fortes se met à l’éclectisme et signe à nouveau pour une autre part de rêve. Oui, ce soir, les génies sont de sortie, enfin, un génie en particulier, qui n’est autre que l’inénarrable Mike Patton, toujours en Europe après avoir tourné avec son groupe Peeping Tom début novembre et de retour cette fois avec John Zorn, un musicien de jazz explorateur de son nouveaux et d’expériences inédites. Les deux hommes sont actuellement associés dans le projet Moonchild, un trio basse-batterie-chant jouant des pièces composées par John Zorn.

Voilà encore pour les fans de Mike Patton une nouvelle facette du héros. L’ex-leader de Faith No More dans les années 90 n’en finit pas d’étonner avec les différents projets musicaux qu’il anime avec une fougue et une inspiration qui laissent sans voix. La voix, c’est justement le point fort de Patton, capable d’utiliser ses cordes vocales comme un instrument ultra-sophistiqué, une machine de guerre efficace sur un octave et demi, déblatérant des onomatopées cinglantes, hurlant comme une fusée ou grondant comme un ours incurable.

Ce sont les mêmes inconditionnels qui étaient venus voir Peeping Tom il y a quelques semaines que l’on retrouve ce soir. Nul doute qu’ils étaient aussi en avril dernier encore à l’Ancienne Belgique pour admirer Monsieur Patton en opération avec son groupe Fantômas et l’appui des légendaires Melvins. Voir Mike Patton trois fois dans la même année, c’est une bénédiction que je pourrai raconter à mes petits-enfants le soir au coin du radiateur. Cette fois-ci, avec John Zorn, Mike Patton devient un vocaliste pur dont les exploits vont vous être contés après la première partie.

Celle-ci est un trio flamand du nom d’Othin Spake qui arrive sur scène à 20 heures et en repart à 20h45, après avoir livré au public deux longs instrumentaux d’acid-jazz noisy anti-mélodique et anti-rythmique. Le batteur installe un couvercle de fait-tout sur un de ses fûts pour en étouffer le son. Un organiste accompagne d’effets électroniques un duel essentiellement livré par la guitare et la batterie. Arythmie savante, brusques poussées électriques de la Gibson, sang-froid mécanique des musiciens, voilà le genre de musique qu’on ne rencontrera pas le samedi soir en boîte de nuit, et c’est tant mieux. Nouvellement arrivé dans le circuit, ce groupe est composé de Teun Verbruggen, Jozef Dumoulin et Mauro Pawlowski. Il tourne régulièrement autour de Bruxelles et d’Anvers et sera notamment visible le 14 décembre prochain au Nijdrop à Opwijk et le 28 janvier 2007 au Hemel à Zichem. Avis aux amateurs.

Mike Patton et ses collègues sont opérationnels dès 21 heures. John Zorn n’apparaît pas sur scène mais sa marque personnelle règne sur les débats au cours de ce qui va être un show hallucinant d’une heure. Mike Patton, tee-shirt blanc et pantalon noir, cheveux soigneusement gominés, va se livrer à un exercice qui termine de démontrer son génie pur en matière de performance vocale. Et cela tombe d’autant mieux que Mike Patton est ce soir dans une forme surhumaine, complètement dans son truc, déchaîné comme jamais. Le voilà qui surgit, courbé sur lui-même comme un félin prêt à l’attaque, agitant la tête d’avant en arrière, la main gauche parallèle au sol, comme un contrepoids à ce corps fluide sans cesse au bord de la rupture. Derrière lui, un batteur au son énorme et un bassiste élevé dans une centrale nucléaire abattent une avalanche de sons musclés, maîtrisés, inquiétants.

Et Patton se lâche. Glapissements outrés, jappements d’un autre monde, hurlements ultra-soniques, il dévoile une palette vocale saisissante, inégalée. Il fait corps avec les autres musiciens, les observant du coin de l’œil, leur donnant l’ordre d’attaquer ou de se réfréner. Au fur et à mesure, la transe le gagne. Yeux fermés, à genoux, il est au bord de la scène (à 17 centimètres de mon visage, m’aspergeant de sa sueur). C’est bien simple, ce soir, la quatrième dimension est atteinte sans élan. Mike Patton livre une prestation quasi-sportive qui devrait être homologuée aux jeux olympiques. Pour qu’il puisse reposer sa voix, la section rythmique entame un instrumental où la basse hache des notes folles et la batterie dévaste le silence avec une puissance tellurique inhumaine. Revoilà enfin Mike Patton qui emmène l‘auditoire jusqu’au bout d’une cavalcade qui tiendra tout le monde en haleine.

Le show ne dure qu’une heure et le public est prêt à démonter jusqu’à la dernière planche de la scène pour obtenir un rappel, consenti par un John Zorn qui est monté sur scène et qui rappelle ses troupes pour un ultime assaut de trois minutes dirigé par lui-même. Sous des ovations homériques, les musiciens s’embrassent mutuellement, heureux d’avoir triomphé dans une Ancienne Belgique qui affichait complet ce soir. Incroyable en effet mais cette musique quasi-confidentielle avait attiré plus de 2000 personnes. Comme quoi, il y a encore des gens qui ont du goût sur cette Terre.

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