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KREATOR + CELTIC FROST + LEGION OF THE DAMNED + WATAIN, Hof Ter Lo, 09.03.2007

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Le Thrash Metal européen a cogné dur à Anvers. Du fond des âges, de la tourbe innommable des années 80 et de ses groupes Thrash Metal qui défièrent Madonna et tous les tympans normalement constitués, ressurgissent aujourd’hui quelques maîtres oubliés du genre. Et cela fait du bien à une époque où les grands du genre, Metallica en tête, vivent aujourd’hui sur leurs acquis sans oser remettre quoique ce soit en question. Pourtant, avec l’excellent dernier album de Slayer, les temps maudits semblent revenir sur le devant de la scène, ce que confirme le retour aux affaires de Kreator et surtout de Celtic Frost. A tous les moins de 25 ans, je rappelle que Kreator était l’un des groupes de Thrash allemand les plus inhumains de la galaxie. Mais ils n’étaient rien à côté de Celtic Frost, des Suisses allemands encore plus brutaux et froids qu’une troupe de Vikings lâchée sur un village normand.

L’influence de Celtic Frost sur le Thrash eighties et ses rejetons Black Metal et Death Metal des années 90 fut énorme. Surprenant, inclassable (si, en fait un petit peu : Thrash européen précurseur héritier de la New Wave Of British Heavy Metal anglaise et du Speed Metal US), brutal mais influencé par la musique classique, d’une violence posée et froide, Celtic Frost fut sans doute le groupe de Metal extrême le plus intéressant et le plus définitif de tout le genre. C’est simple : en général, le Metal extrême m’emmerde prodigieusement (à l’exception de Death, Morbid Angel, Obituary et Entombed, plus quelques doses homéopathiques de Napalm Death). Mais Celtic Frost est tout simplement fascinant. Ils ont une excuse, ils viennent de Suisse. Vous connaissez la Suisse allemande? Non? Continuez… Pas vraiment l’endroit marrant. Mais les types du coin ont le don de cultiver la frayeur raffinée, la rudesse inspirée, l’œil froid en perpétuelle recherche d’absolu. Des Suisses allemands célèbres? Albert Hoffmann, découvreur du LSD, et H.R. Giger, le concepteur du fameux monstre des films “Alien”. C’est d’ailleurs lui qui réalisera la pochette du deuxième album de Celtic Frost en 1985, l’indispensable “To Mega therion” (la grand bête, en grec, vous savez de qui je veux parler). Ce disque marie la grandiloquence baudelairienne et la vilenie métallique la plus inévitable. Le leader chanteur guitariste Tom Warrior y éructe un chant encore compréhensible mais qui inspirera bien vite les borborygmes obscurs et sots des chanteurs Death et Black Metal. L’implacable brutalité des riffs, des ambiances qui feraient passer Judas Priest pour un groupe de reprises d’Abba ou Slayer pour des Mormons accros au Vichy-fraise, les incursions fantomatiques de chant féminin hanté qui viennent défier la gorge sidérurgique de Tom Warrior, tout fait de cet album une œuvre majeure dans le petit monde du Metal méchant. Après une mauvaise journée, passez-vous ce disque avec un petit “Reign in blood” de Slayer et vous pourrez faire les plus beaux cauchemars de votre vie. La poursuite de l’absolu malin se poursuivra en 1987 avec l’autre Grand-Œuvre du Gel Celtique : un “Into the Pandemonium” associant la froideur de la Cold Wave aux sonorités les plus ignobles et les plus implacables du Heavy Metal. La couverture vient d’une peinture de Jérôme Bosch, le peintre flamand du 15ème siècle qui sut si bien dessiner l’enfer. Si ce type avait pu exprimer ses idées en musique, il n’aurait rien fait d’autre que du Celtic Frost. Mais à cette époque les notes de musique basées sur la quarte augmentée étaient interdites par le Vatican sous peine de bûcher. Inutile de dire que Celtic Frost en fait ici un usage démesuré. Ce troisième album signe le sommet de Celtic Frost, qui perdra subitement de l’altitude (ou remontera brutalement à la surface, c’est selon) avec ses deux derniers albums “Cold lake” (1988) et “Vanity/Nemesis” (1990).

Disparu au début des années 90, Celtic Frost était devenu un grand souvenir évanoui face aux vagues successives de combos extrémistes tous aussi insipides les uns que les autres, quand vint à Tom Warrior l’idée de reformer son groupe et de faire valoir ses droits à la légende. C’est ainsi qu’en 2006, on vit les bacs des disquaires étouffés par un gigantesque et démoniaque “Monotheist”, album de reformation autour des historiques membres Tom Warrior (alias Thomas Fischer) et Martin Eric Ain, le bassiste. Désigné parmi les dix meilleurs albums de Metal de l’année par toutes sortes de magazines, fanzines, webzines…, “Monotheist” remet les choses en place chez les métallurgistes irréductibles : le seigneur est revenu demander des comptes à ses vassaux, et des têtes vont tomber. Alors, petite recette pour passer une soirée heureuse : coupez le son d’“Alien” à la télé et écoutez Celtic Frost en même temps.

Arrivé le premier à l’Hof Ter Lo, j’attends patiemment dans le hall l’ouverture des portes. Il y aura bien du monde ce soir puisque le concert est complet. Les combats commencent dès 19 heures avec Watain, une formation suédoise de Black Metal classique. N’étant pas du tout fan de Black, je dois endurer cette demi-heure de frime satanique où Watain nous sort le décor typique fait de crânes (en plâtre), de bougies, de croix retournées et de cornes de bouc. S’ils avaient pu soigner leur musique autant que leur mise en scène, j’aurais été content. Le reste, c’est du Black canal habituel, avec rythmique ultra-rapide, accords barrés jetés à toutes vitesses sur le manche et chant outré. Ceux qui aiment Cradle Of Filth ou Immortal apprécieront, moi, je suis soulagé quand cette bouffonnerie se termine.

La bonne surprise vient de Legion Of The Damned, un combo hollandais qui débute dans le métier et qui abat sur le public à partir de 19h45 un Thrash old-school carré et brutal. Le quatuor faufile dans les valeurs sûres héritées d’Overkill, Exodus ou Slayer, avec de petits clins d’œil lancés de temps à autre à la nouvelle garde des In Flames et autres Children Of Bodom. Côté batterie, le petit rigolo qui tenait les fûts chez Watain fait office de lapin joueur de tambourin comparé au mec qui émascule sa double grosse caisse et rafale comme un maudit sur son alignement de fûts de 12, 14 et 16 pouces. Les musiciens de Legion Of The Damned ont des looks ultrasimples (tee-shirts noirs, sans plus, pas de tatouages) et se distinguent par des chevelures immodérément longues, celle du guitariste battant tous les records. Les Bataves réjouissent le public avec 45 minutes de bon gros Thrash frais et propre, brut de décoffrage mais soucieux d’un placement harmonieux des riffs. A part un problème de guitare sur “Bleed for me”, tout se passe comme sur des roulettes, le groupe propulsant des titres immédiatement mémorisables comme “Eye of the storm” ou l’excellent “Diabolist”. À suivre…

Vient enfin le moment tant attendu où Celtic Frost va venir proférer son Metal dépressif et gothique sur une salle pleine à craquer. Les Suisses arrivent à 21 heures sous les incantations de “Totengott”, première partie du triptyque qui termine leur nouvel album “Monotheist”. Fischer et Ain sont désormais accompagnés de V. Santura (guitare, prêté par le groupe black Dark Fortress) et Franco Sesa (batterie), un type maquillé comme un acteur Kabuki. Ain, quant à lui, porte une espèce de soutane et impressionne avec sa chevelure épaisse et son maquillage livide. Il lui arrive de prêcher quelque évangile morbide entre les morceaux. Fischer est en costume sombre, grimé à la Alice Cooper et portant son désormais éternel bonnet enfoncé jusqu’aux yeux. Dès le premier titre, un “Procreation of the wicked” extrait du premier album, Celtic Frost impressionne par son calme froid, sa violence contenue, son flegme menaçant. Un seul regard de Fischer effraie plus que 18 titres de Slipknot joués d’affilée. Je suis bien placé entre Ain et Fisher, histoire de ne rien rater des deux patrons de Celtic Frost. Comme je m’y attendais, la set-list va chercher massivement dans les trois premiers albums. “Morbid tales” et “To mega therion” sont bien servis avec une flopée de classiques comme “Procreation of the wicked”, “Visions of mortality”, “Circle of the tyrants”, “The usurper”, “Necromantical screams”, “Dawn of Meggido” ou “Morbid tales”. Vous l’avez deviné, l’inspiration de Celtic Frost ne se trouve pas dans les films de Bourvil. Elle reste coincée entre l’église et le funérarium. Celtic Frost nous joue au passage deux titres très gothiques de “Into the pandemonium”, “Mesmerized” et “Sorrows of the moon”, une adaptation en anglais du poème de Baudelaire, Tristesses de la lune. Le son du groupe est très lourd et grave, masquant parfois les solos de guitare. On est aux frontières du Doom dans des interprétations parfois ralenties de certains titres. Fischer et ses hommes terminent leur show avec le phénoménal “Synagoga satanae”, pièce de près d’un quart d’heure qui constitue le centre du triptyque achevant “Monotheist”. Après qu’ils aient quitté la scène à 22 h15, c’est la dernière partie “Winter” qui est jouée en musique de fond.

J’hésite entre partir purement et simplement ou rester pour regarder Kreator en curieux. Mon choix de rester a failli avoir de lourdes conséquences sur ma forme physique. Je ne m’attendais pas à subir un choc frontal aussi puissant de la part d’un groupe que l’histoire du Thrash a opiniâtrement maintenu en deuxième division. Moins influent que Celtic Frost, Kreator a perpétré durant près de 25 ans un Thrash Metal ultra violent et bourrin. C’est la même formule qui nous est proposée ici par un groupe qui arrive en triomphateur et qui va véritablement pulvériser la salle de l’Hof Ter Lo. Une marée humaine démontée se presse contre les barrières. Je vais subir durant tout le show un pilonnage humain sans précédent, les slammeurs tombant comme des mouches sur les premiers rangs. En tout cas, je reste stupéfait de voir un groupe comme Kreator toujours aussi incroyablement puissant sur scène. Je les pensais oubliés mais ils font l’objet d’un véritable culte. Ils doivent avoir 2000 fans en Belgique et ceux-ci étaient tous à Anvers ce soir. Pendant 80 minutes, la férocité inextinguible du public, aiguillonnée par un Kreator en surchauffe permanente, transforme l’Hof Ter Lo en bouilloire de l’enfer. Les slammeurs tombent sans arrêt, bousculant à de nombreuses reprises le dispositif de sécurité sensé les récupérer en bout de course, les hurleurs ne décolèrent pas, tout le monde fonce dans le tas de tous côtés. Le guitariste vient régulièrement exciter le public au ras du bord de scène, je parviens à le toucher du doigt. Vu le jeu de scène de Kreator, il est normal que ce groupe soit headliner sur cette tournée. Mais du point de vue de l’importance musicale, mettre Celtic Frost en dessous de Kreator est une véritable offense. Quoiqu’il en soit, tout amateur de musique atomique ne peut pas regretter ces 80 minutes de furie non-stop, rythmées par un speed-metal foudroyant, bien old school. Le show de Kreator se termine avec un rappel d’apocalypse, concluant un show où j’ai reconnu entre autres des titres comme “Pleasure to kill”, “Flag of hate”, “Awakening of the gods”, “Behind the mirror”, “Betrayer” ou le “Tormentor” du rappel.

Vers minuit et quart, l’Hof Ter Lo n’est plus que ruines fumantes où quelques derniers spectateurs persistent à chercher un médiator au sol au milieu d’un océan de verres de bière tordus ou aplatis. J’extraie ce qui reste de mon corps de cette bouillie et je passe par le stand des souvenirs avant de reprendre mon chemin vers Bruxelles.

Amis de France en mal de sensations fortes, courez vite à l’Elysée-Montmartre de Paris le 20 mars ou à la Rock School Barbey de Bordeaux le 21 mars vous faire dézinguer par cette bande de barbares!

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