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MESHUGGAH + Trigger The Bloodshed, le thrash metal a aussi ses technocrates

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C’est la fin de l’été et il est déjà temps de reprendre les activités coutumières, c’est-à-dire en ce qui me concerne la quête du décibel ultime dans les salles de concerts. La saison redémarre à l’Ancienne Belgique avec de quoi se sortir des torpeurs estivales à grande vitesse : ce 15 septembre, les Suédois fous de Meshuggah. Ça tombe bien, meshuggah veut justement dire cinglé en yiddish. Et côté loufdinguerie, on peut dire qu’on est servi quand on écoute les albums de thrash brutal et technique de ce combo qui, l’air de rien, affiche aujourd’hui 21 ans d’existence. Non, vous n’allez pas trouver les albums de Meshuggah exposés à la FNAC par palettes entières, à la différence d’un célèbre groupe metal américain qui sort ces temps-ci son tout nouvel album. Il faut fouiller précautionneusement au rayon metal, lettre M et extraire par miracle un seul exemplaire du dernier album “Obzen” pour se faire une idée de ce que fait Meshuggah en ce moment. Et d’ailleurs, ça ne va pas changer grand-chose par rapport aux premiers albums du groupe. Meshuggah nous a rapidement habitués, dès 1991, à pénétrer dans son univers musical extrêmement dense, puissant et complexe. Car la complexité est le maître mot de l’œuvre de Meshuggah. La bande animée par Jens Kidman (chant) et Fredrik Thortendal (guitare) n’est pas un groupe de metal comme les autres. Les riffs sont monstrueux mais il faut s’arrêter aussi sur le travail rythmique hors du commun. Meshuggah se distingue en effet par son art de la déstructuration et de la polyrythmie qui désarçonne complètement l’auditeur et rend ivres de jalousie tous les aspirants batteurs. On peut même trouver sur Internet le texte d’un mémoire soutenu à l’université de Poitiers et qui présente la musique de Meshuggah du point de vue de l’analyse rythmique. Un groupe qui fait l’objet de ce genre d’étude est plutôt rare et gagne à faire l’objet d’un culte.

Cette année, Meshuggah sort son sixième album “Obzen” et vient le défendre légitimement sur les scènes d’Europe. Sa tournée a démarré le 1er septembre à Hambourg, rebascule en Grande-Bretagne puis revient vers l’Allemagne avec une halte à Bruxelles, qui se trouve précisément entre les deux. C’est l’avantage de la Belgique de se trouver située entre ces deux gros marchés, ce qui permet de choper quelques bons concerts au passage. Et en matière de Meshuggah, le pays a été servi. Le groupe est en effet déjà passé au VK de Bruxelles le 20 juin dernier, a aussi joué au festival Pukkelpop le 15 août et le revoici à l’AB pour une nouvelle démonstration de force. Trois passages en trois mois, on frise l’obsession.

C’est sans doute pour cette raison que la fréquentation de l’Ancienne Belgique ne va pas être aussi intense que cela. J’arrive une bonne heure avant et je retrouve quelques fidèles camarades, avec lesquels j’attends sur le trottoir que les portes veuillent bien s’ouvrir. Nous sommes très peu, y compris devant la scène quand les portes se sont ouvertes. Il y aura encore peu de monde lors de l’arrivée du groupe de première partie.

C’est Trigger The Bloodshed qui ouvre la danse. Ce groupe anglais est catalogué dans le death metal mais la rythmique à 4000 coups/minute du batteur fait plutôt penser à du black metal. Bon, c’est vrai, la frontière entre le death et le black et aussi claire que celle entre l’Europe et l’Asie et on ne va pas se lancer à nouveau dans des débats scientifiques interminables. Quoiqu’il en soit, nous avons devant nous quatre chevelus et un tondu qui tronçonnent leur musique avec une brutalité obtuse. Le profane aurait tendance à y voir toujours la répétition du même morceau mais là, je vous renvoie aux débats scientifiques interminables évoqués plus haut. Quand il ne se livre pas à un headbanging façon planète des singes, le chanteur fait de la pub pour le premier CD et les tee-shirts du groupe entre deux chansons. Le style de Trigger The Bloodshed n’est peut-être pas très original mais leur musique est excellente pour maintenir en forme les vertèbres cervicales et les muscles dorsaux pour ceux qui veulent bien se laisser emporter par l’expression corporelle exigeante chère au death metal. Une panne d’une des deux guitares pendant deux minutes révèle que le son du groupe repose complètement sur ces deux guitares et la basse sinon, ça tombe à plat. Nos braves garçons font tout ce qu’ils peuvent pour chauffer une salle clairsemée et timide mais leurs efforts tombent un peu dans le vide, surtout quand ils réclament une séance générale de po-go qui n’aura jamais lieu.

La salle se chauffe toute seule lorsque les hommes de Meshuggah apparaissent sur scène à 21 heures précises. Notre position à droite de la scène est une erreur stratégique car Fredrik Thortendal, que nous voulions voir jouer en détail, se trouve à l’autre extrémité. Dès les premiers instants du show, Meshuggah lance le rouleau compresseur. Face à la foule, une ligne de front de quatre types imposants occupe toute la scène, propulsant des riffs au carbure de tungstène et headbanguant quasiment à ras de terre. Le seul petit bémol est le light show qui darde sa lumière dans le dos des musiciens, ne nous les montrant qu’à contre-jour et cachant par là-même les secrets de fabrication de la musique inclassable de Meshuggah. On aperçoit à peine Fredrik Thortendal jouant sur son impressionnante Ibanez huit cordes, même chose pour Mårten Hagström (qui officie dans le groupe depuis 1992). Au milieu de toutes ces guitares à huit cordes, le bassiste aligne quand même un instrument à cinq cordes. Il fallait bien donner le change, quatre cordes auraient été d’un primitif! Quant au batteur, il est proprement hallucinant, imposant une rythmique complexe et colossale à un répertoire qui va essentiellement se baser sur le nouvel album “Obzen” et le classique “Destroy erase improve” (1995).

La fosse s’ébranle dès le deuxième morceau. Derrière moi, je sens le souffle des pogoteurs volant en tous sens. Il ne va pas y avoir beaucoup de slammeurs mais le po-go va régner en maître sur les premiers rangs. Pourtant, l’énergie du groupe sur scène reste de facture assez froide. Le chanteur Jens Kidman est distant et ne commence à parler au public que vers le milieu du show. L’intensité du concert est énorme, le groupe balançant toutes ses tripes dans sa musique. Il en résulte un voyage dans le brutal, le complexe et la froidure des ambiances. Oui, vraiment, Meshuggah est un groupe à part, foncièrement original et capable de surprendre. Il est la voie que le thrash metal doit suivre pour se renouveler. Et en cela, il coupe littéralement l’herbe sous les pieds d’un célèbre groupe de metal américain qui sort son nouvel album ces temps-ci et qui se proclame toujours un des plus grands groupes du monde (oui, c’est le même groupe qui vend ses albums par palettes entières à la FNAC, vous avez bien suivi).

Le seul défaut du show de Meshuggah de ce soir est son incroyable brièveté : une heure et cinq minutes, sans rappel. Il est vrai qu’avec une telle densité d’interprétation, les musiciens de Meshuggah doivent être lessivés après leur prestation. Mais quand même! Cinq ou dix minutes de plus auraient terminé de fatiguer définitivement la fosse qui n’a pas arrêté de se défouler dans un spectacle ininterrompu d’autos tamponneuses. Il n’y a plus qu’à évacuer la salle et retrouver le monde commun. Ceux qui veulent continuer à entendre Meshuggah peuvent toujours prendre quelques vacances au Japon ou en Australie car c’est là-bas que l’on retrouvera le groupe en octobre.

Tout pour Meshuggah,

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