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XIU XIU – Girl with basket of fruit

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Depuis maintenant plus d’une quinzaine d’années, Xiu Xiu hante le paysage électro américain et son leader Jamie Stewart ne ménage aucun effort pour s’aventurer dans des territoires musicaux toujours plus excentriques et aberrants. On avait déjà pu se rendre compte de la cuvée 2017 de Xiu Xiu avec son album ʺForgetʺ mais ce qui arrive en guise de récolte 2019 va faire encore plus fort.

Habituellement, Jamie Stewart conçoit son album de A à Z, ne laissant à quiconque le droit d’interférer dans ses plates-bandes. Mais pour réaliser ce ʺGirl with basket of fruitʺ, il s’est entouré de complices à qui il a lâché la bride et leur a permis d’exprimer leur voix au chapitre. Parmi ces collaborateurs, Angela Seo et Greg Saunier ont de lourds passés. La première est coréenne, contrairement à la sonorité italienne de son nom, et officie également dans XXL, une formation transalpine post-rock ayant commis quatre albums assez tourmentés depuis 2005. L’autre lascar, c’est Greg Saunier qui, à la différence d’Angela Seo, n’est que membre invité sur cet album, comme il l’était sur l’album précédent. Et quand on connaît les activités bien folingues de Greg Saunier dans son groupe Deerhoof, on peut s’attendre à de la folie tout aussi débridée là où il pose ses baguettes. Il faut aussi compter sur Devin Hoff, bassiste qui fait son retour dans Xiu Xiu après avoir déjà effectué deux séjours dans ce groupe, en 2007-2008, puis en 2012. Enfin, Jamie Stewart a récemment recruté le percussionniste Thor Harris (ex-Swans, ex-Shearwater), histoire de mettre un peu plus d’imprévu dans les rythmiques du groupe.

Jamie Stewart a donné à cet album le titre de ʺGirl with basket of fruitʺ en référence à la peinture du Caravage ʺGarçon avec un panier de fruitsʺ, peint vers 1593 par le grand maître italien du baroque. Le but de ce titre est en quelque sorte de retourner la charge affective liée à l’image d’un homme portant un panier de fruits. Si c’est une fille, se dit Jamie Stewart, cela aura nécessairement une connotation plus dangereuse. Comprenne qui pourra. On parlait de baroque dans l’imagerie, mais ici, c’est davantage dans la musique que le baroque va s’exprimer. On plutôt, à tout bien réfléchir, la musique que l’on trouve dans ce ʺGirl with basket of fruitʺ n’est ni baroque, ni post-baroque, elle est plutôt complètement braque.

En effet, Jamie Stewart nous embarque ici dans une épopée hallucinante au pays de l’électronique en délire, une sorte de revisite du ʺTrout mask replicaʺ de Captain Beefheart qui passerait ici aisément pour un orchestre philharmonique tyrolien. Avec sa voix toujours au bord de la crise de nerfs, Jamie Stewart irrite les tympans à souhait, aidé par ses compagnons de studio qui vont décharger des avalanches de sonorités heurtées, chaotiques, invraisemblables, un truc qui rend Einstürzende Neubauten parfaitement recommandable à votre belle-mère. On démarre dans l’anarchie électro-tribale de ʺGirl with basket of fruitʺ qui déclenche des transes vaudou à forte d’insister sur les mêmes sons et de bousculer les rythmes. Voilà un début particulièrement violent qui place l’auditeur devant une masse sonore dont il va être difficile de s’échapper. La pression se maintient avec l’inquiétant ʺIt comes out as a jokeʺ, où Jamie Stewart se livre presque à du spoken word hurlé, dans des couloirs de sons pesants et étouffants, attaqués en permanence par des délires bruitistes. La situation reste préoccupante sur ʺAmargi ve mooʺ, hanté par du violoncelle traînant et geignard, le truc idéal pour vous mettre les nerfs en compote. ʺIce cream truckʺ insiste sur les pouvoirs terrifiants du violoncelle lorsqu’il est lâché en mode incontrôlable, accompagnant des élucubrations qui ferait passer Captain Beefheart ou Arthur Brown pour Frank Sinatra. N’oublions pas non plus ʺPumpkin attack on Mammy and Daddyʺ, dont le titre parle de lui-même et qui commet de plus l’exploit de nous distiller du bruitisme de basse-cour à l’aide des sons gallinacés. ʺThe wrong thingʺ donne envie de réécouter tout Tom Waits à l’envers et ʺMary Turner Mary Turnerʺ restitue assez fidèlement ce qui pourrait se passer dans le laboratoire d’un savant fou en proie à un gigantesque incendie. Quant à ʺScisssssssorsʺ, c’est un peu spécial car ce morceau a été choisi comme single pour la promotion de l’album. Autant vous dire qu’avec un tel single promotionnel, le nouveau disque de Xiu Xiu sera surtout vendu en priorité dans les asiles psychiatriques de l’Alabama. On finit avec ʺNormal loveʺ qui, comme son nom l’indique, n’a rien de normal mais parle certainement d’amour.

Le secret de cet album? C’est que Jamie Stewart avait l’habitude d’exprimer dans ses chansons les effets internes sur l’individu d’événements extérieurs. Ce n’est pas moi qui le dit mais Stewart lui-même. Ici, pour ce nouvel album, Jamie Stewart a choisi de décrire les effets internes d’événements internes. Ça devient clair : comme ce type a une vie intérieure bien plus spectaculaire que tout ce qui peut se passer dans le monde extérieur, les effets de lui-même sur lui-même ne peuvent donner que des conséquences musicalement spectaculaires. On en reparlera lors de la prochaine thérapie de groupe, si vous le voulez bien. Et en attendant, n’oubliez pas vos médicaments car moi, aaarrgl! glop glop! gasp! gnaaaah!, j’ai un peu tendance à oublier les miens.

Pays: US
Polyvinyl Records
Sortie: 2019/02/08

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