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KORN + Dimmu Borgir, néo métal contre black métal


Il y a quelques années, presque plus personne ne croyait encore en l’étoile de Korn. Les maîtres du néo-métal, qui régnaient sans partage depuis 1993 et avaient fait trembler le monde avec leurs albums “Korn” (1994), “Life is peachy” (1996), “Follow the leader” (1998) et “Issues” (2000), avaient connu un petit passage à vide au milieu des années 2000. D’abord, le guitariste historique Brian “Head” Welch s’était converti au catholicisme et avait abandonné son poste en 2005 pour suivre le Très-Haut. Ensuite, Korn a failli se retrouver très bas après l’échec de son huitième album en 2007, un
Korn
bien trop mou du genou pour soutenir la réputation du groupe. Cet album est sorti après le départ du batteur d’origine David Silveria, encore une perte cruelle pour les membres restants Jonathan Davis (chant), Reginald “Fieldy” Arvizu (basse) et James “Munky” Shaffer (guitare).

Heureusement, les choses finissent toujours par s’arranger et après avoir abandonné quelques projets solos divers, les Californiens de Bakersfield ont surmonté l’épreuve en se fendant d’un excellent dernier album
Korn III : remember who you are
, sorti cette année. Sur cet album, Korn a joué la carte de la spontanéité retrouvée et s’est lâché sans crainte dans la composition de nouveaux morceaux en prise directe avec l’inspiration des premiers temps. Et le public ne s’y est pas trompé, en portant ce disque dans les charts d’une vingtaine de pays, dont une superbe deuxième place dans le Billboard américain. Depuis, des titres comme “Oildale”, “Let the guilt go”, “Pop a pill” ou “The past” ont rejoint les classiques du groupe et rivalisent avec les morceaux sacrés que sont “Blind”, “Got the life”, “Freak on a leash”, “Clown” ou “Here to stay”.


Fort de ce succès renouvelé, le groupe a entamé une tournée mondiale plus que sérieuse. Imaginez-vous que les choses durent depuis le 26 mars et que Korn ne s’est jamais accordé plus de quinze jours de répit entre les différents volets de cette tournée. Après un début de tournée au Canada puis un mois d’avril passé en Amérique du Sud, Korn est revenu aux States du 1er mai au 15 août et a débarqué en Europe le 27 août pour ravager systématiquement la Pologne, la Tchéquie, la Roumanie, la France, les Pays-Bas, l’Italie, la Suisse, l’Autriche, la Belgique et bien entendu l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Puis à la mi-octobre, ce sera le tour du Japon, puis de l’Australie début décembre. Au total, 110 dates pour cette année, on frise l’exploit pour des musiciens qui l’air de rien commencent à aborder la quarantaine.

Nous allons donc voir dans quel état Jonathan Davis et ses comparses se trouvent après tous ces mois passés sur les routes et si le concert belge de ce 1er octobre à l’Ancienne Belgique va les trouver en forme. Oui, c’est bien à l’Ancienne Belgique que ce groupe habitué aux stades et aux arènes géantes a choisi de passer. Il faut dire que la branche européenne de leur tournée est plus particulièrement consacrée aux salles moyennes, ce qui est un privilège quand on aime Korn et qu’on doit habituellement se rendre dans des endroits immenses pour les voir. Le 20 septembre dernier, Korn a fait une exception en se produisant au Palais Omnisports de Bercy à Paris, en ouverture du légendaire Ozzy Osbourne. Aujourd’hui, ce sont 2000 fans qui vont avoir affaire à eux à l’Ancienne Belgique et il va falloir faire vite pour se trouver une bonne place dans la salle.

Arriver deux heures et quart avant l’ouverture des portes ne suffit pas, car il y a déjà une quarantaine de pèlerins devant moi quand je me pointe sur le trottoir de l’AB. Les portes sont en fait ouvertes dès 18h15 et dans le raz-de-marée humain qui se précipite vers la salle, je parviens à trouver un bout de barrière tout à fait à droite. C’est déjà mieux que rien.

Avant de profiter de Korn, il va falloir se fader les sanguinaires trolls de Dimmu Borgir, un groupe norvégien de black metal qui se nourrit de sang de vierges et se fait du bois de chauffage avec des crucifix. Ce groupe existe depuis 1993 et se base sur le duo constitué de Silenoz et Shagrath, respectivement guitariste et chanteur, qui sont les patrons incontestés de Dimmu Borgir. Au début groupe de black metal pur, Dimmu Borgir (dont le nom est tiré d’un site volcanique en Islande) a ajouté de plus en plus d’éléments symphoniques dans sa musique. Ce nouvel aspect est un défi de plus pour mes oreilles car non seulement je n’aime pas le black metal mais encore je déteste le rock symphonique. Je sens qu’on va se marrer. Autre sujet d’inquiétude : ce groupe ne semble pas près de s’éteindre puisqu’il sort cette année son huitième album studio répondant au doux nom de “Abrahadabra”. Certes, le rythme a ralenti depuis la fin des années 90, quand Dimmu Borgir sortait un album tous les deux ans (dont les plus connus sont “Enthrone darkness triumphant”, “Puritanical euphoric misanthropia” ou “Death cult Armageddon”) mais ce groupe semble prêt à survivre à tout, y compris aux multiples changements de personnel qui ont jalonné son existence.

Dimmu Borgir accompagne Korn sur une dizaine de dates et continue sa propre tournée avec Enslaved et Sahg au cours du mois d’octobre. Pas de bol, on les a ici au concert de l’Ancienne Belgique et on va avoir droit à une heure de farces et attrapes diaboliques, avec murs de guitares saignantes, rythmiques à fond tout le temps et chant de corbeau souffrant d’hémorroïdes.

Mais avant, surprise, un petit groupe anglais vient se glisser sur l’affiche. Turbowolf n’était pas au programme et démarre un petit set de 25 minutes à 18h40. Quatre petits malingres avec des tee-shirts sans manche semblent avoir découvert la New Wave Of British Heavy Metal avec trente ans de retard. Le chanteur excité et braillard sait s’y prendre pour chauffer la salle mais dès qu’il ajoute quelques notes de synthétiseur à la musique – assez bonne – de son groupe, on croirait entendre les Buggles. L’avant-dernier morceau se fait sur un rythme très rapide, ce qui prouve que Turbowolf a également découvert le speed metal, avec 25 ans de retard. Ce groupe a le choix, soit persister mais acquérir davantage de personnalité dans ses compositions, soit devenir un groupe de reprises de Diamond Head ou de Tygers Of Pan Tang (ou des Buggles quand ils se mettent à jouer du synthé).


Voici maintenant Dimmu Borgir, qui vient posséder le public de l’Ancienne Belgique à 19h30. C’est parti pour 45 minutes de magie noire à deux sous, d’incantations de kermesse et de paganisme remboursé par la sécurité sociale. Six musiciens maquillés de blanc crasseux apparaissent en manteaux longs et bottes de sept lieues. Le chanteur Shagrath porte un long manteau blanc parsemé de queues de renard et de crocs géants collés dans le dos. Avec ses bottes en forme de tête de mort, il ferait très bonne impression dans un cocktail mondain. Ayant horreur du black metal, je ne suis pas le mieux placé pour juger le set, qui apparaît quand même assez accrocheur, en tout cas audible sans toutefois être hors du commun. Le public est partagé entre les fans et ceux qui détestent. En attendant la fin de ces élucubrations pagano-symphoniques, je pense à ce que je pourrais bien faire ce week-end. Il va falloir tondre la pelouse et faire les courses.

On en revient à des distractions plus saines avec Korn, qui aborde les planches de l’Ancienne Belgique à 21h00. Immédiatement, la tension et l’excitation sont palpables. Les musiciens du groupe pénètrent sur scène sous des ovations gigantesques, en provenance d’une salle pleine à craquer. La foule entre en ébullition dès “Right now”, qui montre les hommes de Korn dans une forme olympique. Jonathan Davis, en tenue Adidas (bien évidemment) s’agite comme un dément sur son micro dont le pied dessiné par H.R. Giger (celui qui a inventé Alien) est aussi célèbre que Korn lui-même. Le bassiste émet sur son instrument des infrasons qui font trembler tout le quartier. Il faut dire que Korn est aussi célèbre pour ses instruments accordés en do, et qui sont les plus graves de toute la profession. Le guitariste Munky, sourire en coin adressé au public, balance ses médiators à chaque morceau et saute dans tous les coins comme un lapin coincé dans un transformateur électrique. Quant au batteur, le nouveau Ray Luzier, il évolue derrière un kit somptueux, aux lignes arachnéennes, avec quantités de fûts, de cymbales et de spirales métalliques servant de percussions.


Tout au long d’un concert allant puiser dans les meilleurs morceaux de presque tous ses albums, Korn aligne des monuments d’énergie imparable. La quinzaine de morceaux s’abat sur nos oreilles et fait place nette. Les fans sont décimés par des versions rageuses de “Here to stay”, “Falling away from me”, “Let the guilt go” ou “Pop a pill”. Dans la set list, c’est bien sûr le nouvel album qui se distingue avec trois morceaux, mais Korn défend aussi son album “Issues”, avec également trois titres. On atteint des sommets avec “Somebody someone” ou “Throw me away” qui ouvrent la voie à des solos de batterie ou de basse. La tension est permanente et touche au grandiose avec le trio final de chansons qui achèvent la première phase du show. “Freak on a leash”, “Helmet in the bush” et “Blind” nous replongent dans les années 90 et les grands moments de Korn, qui n’est jamais aussi fabuleux que quand il nous sort son “Blind”, angoissant et puissant à souhait.

La foule qui s’est surpassée lors de ce dernier quart d’heure en redemande et est servie au centuple avec un rappel pas piqué des hannetons puisqu’on continue le voyage dans les classiques. Jonathan Davis revient sur scène avec sa cornemuse, autre fameux gimmick qui annonce “Shoots and ladders” (assorti d’un petit bout de reprise du “One” de Metallica). Puis “Clown” et “Got the life” viennent terminer l’entreprise de démolition du centre ville de Bruxelles. À l’issue de ce concert, une conclusion s’impose : Korn nous a particulièrement choyés avec une sélection de ses plus grands titres, ayant presque tous fait l’objet d’une vidéo. Korn a donc sorti la grosse artillerie afin de démontrer qu’il était toujours bien en place et pas décidé du tout à laisser la main. Ces mecs m’ont laissé pantois devant leur envie d’en découdre et leur capacité à retrouver le niveau de leurs débuts.

Setlist : 4 u / Right now / Pop a pill / Here to stay / Oildale (leave me alone) / Falling away from me / Did my time / Let the guilt go / Somebody someone / Throw me away / Freak on a leash / Helmet in the bush / Blind // Rappel : Shoots and ladders/One / Clown / Got the life

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Photos © 2010 Bernard Hulet

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