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CRISLUNA : interview d’un rêveur éveillé


En confiant la chronique d’une oeuvre aussi diversifiée que “Babylon Child” au hard rockeur de service, Music In Belgium n’a peut-être pas donné toutes ses chances à Crisluna. C’est pourquoi, dans un souci d’équité, nous donnons à ce sympathique artiste l’occasion de nous présenter lui-même le fruit de son travail passionné. Michel Serry : Bonjour Cris. Pour commencer, pourrais-tu nous dire qui tu es et d’où tu viens ?


Crisluna : Mon nom est Christophe Schoepp, je suis le fils d’un mineur du Bassin Houiller de Lorraine et d’une mère au foyer de quatre enfants. Je suis né en 1968 et j’ai grandi dans un petit pays coincé entre l’Allemagne et la France que l’on appelle le pays de Bitche. C’est une terre qui a connu de nombreuses guerres et leur a payé un lourd tribut. Une région trimballée entre deux pays et deux cultures qui nous ont imprégnées à jamais, par la langue, les coutumes et une sorte de sentiment d’éloignement du reste du pays. Cette terre est également quelque part présente dans ma musique, mais j’aurai l’occasion d’y revenir.

M.S. : Quel est ton bagage musical ? Par quel biais as-tu appris à jouer de la guitare ?

C. : J’ai commencé la guitare à l’âge de 10 ans. Quelques cours avec un prof incroyable nommé Pascal Masselon, puis tout seul au collège avec un orchestre et un drôle de prof de gym qui était passionné par la musique des seventies. Ce type avait réussi à monter un band au sein du collège avec de tous petits moyens et un cœur énorme. Il me reste de cette époque le souvenir incroyable des premiers gigs au bahut et les premiers frissons de la scène !

M.S. : As-tu joué dans d’autres groupes avant de créer ton propre projet ?

C. : J’ai débuté dans un groupe de Hard Rock local appelé Feudatory, n’y voyez aucune influence de la dame de fer ! Ensuite, j’ai eu une vraie grosse expérience de dix ans avec le groupe The Other Face of Music, un combo Rock New Wave de la région de Sarreguemines en Moselle.

M.S. : Quelles sont tes artistes préférés ? Quels sont ceux qui t’ont le plus influencé au moment d’écrire ta propre musique ?

C. : Je pourrais te citer des dizaines d’artistes ou de groupes qui m’ont marqué, mais je te parlerai simplement de mon premier vrai choc musical qui s’est produit un lendemain de Noël. Ma sœur m’avait offert l’album “ABACAB” de Genesis dont je n’ai écouté que le premier morceau. Dès le lendemain, je suis allé chez le disquaire pour l’échanger contre l’album “Highway To Hell” d’AC/DC. J’avais treize ans. Le soir, revenu chez moi, j’ai mis le disque sur la platine du salon, posé le casque sur mes oreilles et là, j’ai pris une véritable décharge électrique. Je crois que je n’en ai pas fermé l’œil de la nuit. C’était comme si le monde basculait dans ma tête. Mais je suis passé depuis par bien des courants : le blues, le jazz, le métal, le progressif, la new-wave et je crois que tout ce petit monde trouve une place dans mon disque, mais à ma manière ; à travers ce que je suis aujourd’hui.

M.S. : Comment s’est déroulé le processus de composition et d’enregistrement de ton album. As-tu travaillé en studio ? À domicile ?

C. : J’enregistre mes démos sur un dictaphone ; principalement avec une guitare sèche Takamine. Ensuite, j’écris mes textes sous l’impulsion de l’instant. J’enregistre alors successivement les parties de basse, guitare, clavier et les voix dans mon petit home studio. Mon ami Frantz est venu poser sa batterie sur certains titres et un ami saxophoniste m’a gratifié de sa présence sur deux morceaux. Tout cela s’est déroulé sur une période de six mois. La mastérisation de mon mixage a été effectuée dans un studio Pro à Clouange en Moselle.

M.S. : J’ai souligné, lors de la chronique de
Babylon Child
, que tu étais un rêveur idéaliste ? Ai-je vu juste ? Est-ce quelque chose que tu revendiques ?

C. : Oui, tu as raison. Je crois qu’au fond de moi, je ressens toutes les injustices qui nous entourent tous les jours dans le monde. Il m’est impossible de me taire et la musique est mon moyen à moi de revendiquer les choses. Je sais que ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. C’est pourquoi je me qualifie aussi de rêveur éveillé idéaliste.

M.S. : Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur le contenu de tes paroles et notamment nous raconter la touchante histoire du titre “A Letter Of War” ?

C. : Un ami m’a un jour confié un recueil de lettres de Poilus de la première Guerre mondiale, dont je recommande la lecture à tous. Ce livre raconte ce conflit atroce vu de l’intérieur, écrit de la main de ceux qui l’ont vécu ! Une des lettres m’a particulièrement touché. Le jeune soldat y raconte cette journée où il a quitté son épouse pour prendre ses quartiers et filer droit sur Verdun pour la grande boucherie. Le défilé dans les rues, avec tous ces gens, ces vieillards, ces femmes et ces enfants massés sur les bords de la chaussée qui agitent de petits drapeaux tricolores dans une liesse populaire vécue comme une haie d’honneur cynique pour des gars en partance vers l’enfer des tranchées. Cette lettre de guerre est pour moi un cri de défiance universel envers ces gens qui nous gouvernent et qui n’hésitent pas à envoyer des hommes se faire massacrer pour une cause qu’ils n’ont pas choisie. Mon père était résistant pendant la deuxième Guerre mondiale. Je crois que je garde de lui cette fierté de ne pas courber l’échine devant l’état de non droit. Il faut toujours se souvenir de ces grands hommes-là !


M.S. : Quel est le message caché derrière l’étrange dessin de la pochette de ton album ? (NDR : un pistolet de pompe à essence noir déversant un liquide aux couleurs de l’arc-en-ciel).

C. : Je cherchais un symbole fort : le paradoxe frappant entre l’arme du vingtième siècle, le pétrole ! (ce liquide visqueux qui nous a entraînés dans des guerres récentes, qui divise le monde, qui pollue notre air et empoisonne nos mers), et les couleurs de l’arc en ciel qui symbolisent l’espoir, la vie et la joie qui existe dans ce monde malgré toutes ses plaies. Mon ami graphiste Did’ a tapé dans le mille. Je n’ai pas hésité une seconde sur le graphisme.

M.S. : Tu publies “Babylon Child” sous le format ‘digipack’, accompagné d’un livret contenant les paroles de tes chansons. Trouves-tu qu’il est important, de nos jours encore, de proposer sa musique sous la forme d’un bel objet plutôt que de l’écouler ou moyen de fichiers mp3 ?

C. : Faire un disque aujourd’hui est en train de devenir un acte militant. Je trouve que le Net est un formidable moyen pour diffuser la musique partout. Il permet le brassage des musiques, mais il va malheureusement ruiner la culture musicale des prochaines générations. Je reste attaché à l’objet. Pour moi, écouter un disque c’est ouvrir une pochette comme un livre, en découvrir les secrets, les paroles, le son, les images et le concept. Le mp3 ne permet pas cela. Nous sommes au temps de la ‘fast food Music’. On prend, on consomme vite et on jette. Il ne reste rien, on ne transmet rien, on échange simplement mais on ne tient plus compte de la globalité de l’œuvre. Mais c’est ainsi. L’artiste qui veut, aujourd’hui, véhiculer sa propre musique ne peut se passer des plateformes de téléchargement. Il faut sans cesse faire découvrir à nos jeunes ces pépites cachées dans nos étagères. Sortez vos disques !

M.S. : Quel est ton avis d’artiste sur les téléchargements illégaux ? Du vol qualifié ou un moyen de répandre son nom ? Que dirais-tu à nos lecteurs pour les convaincre d’acheter ton album plutôt que de le télécharger sur la toile ?

C. : Je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Avant, on copiait bien les vinyles sur des cassettes. C’était du peer to peer à petite échelle. La musique se diffuse partout et c’est tant mieux. Je laisse à chacun cette liberté, cela rejoint simplement la question précédente. Où sont la qualité et le respect de l’œuvre d’un artiste ? C’est une question d’éthique personnelle.

M.S. : Pourrais-tu nous présenter les artistes qui t’ont accompagné lors de l’enregistrement de “Babylon Child” ? Je pense notamment à Frantz, le batteur et à Véronique, la chanteuse dont j’ai critiqué l’accent anglais en omettant injustement de souligner qu’elle avait un joli brin de voix.

C. : Frantz est un ami. Un jeune batteur professionnel. Il joue dans plusieurs groupes dans le grand Est. C’est un futur grand talent, je n’en doute pas ! Nous avons travaillé ensemble quelque temps sur des covers et c’est tout naturellement que j’ai pensé à lui pour partager cet album. Michel Di Torre est un saxophoniste merveilleux. Un être d’une sensibilité incroyable qui travaille plutôt dans le Jazz, mais qui a tout de suite compris ses parties solos sur “Babylon Child”. Les deux séances avec lui ont été des vrais petits moments de bonheur partagé ! Véronique Bruni, qui n’est pas la sœur de Carla je vous rassure, est une femme avec une personnalité à fleur de peau. Je crois que c’est son premier enregistrement sur un disque. Elle est arrivée un jour dans le studio, s’est placée devant le micro et elle a envoyé en une prise les parties de “Letter Of War”. Je n’ai rien mixé, je recherchais une voix spontanée, originale et décalée et je suis tombé ! Je savais que l’accent n’était pas parfait, mais tant pis. Elle a cette fragilité innocente dans la voix que je trouve juste incroyable. Et pour finir, le cœur final de “Free World” a été chanté par deux gamines de mon village, Doralou et Noémie, deux petites perles !

M.S. : Crisluna est-il un projet confiné aux locaux d’enregistrement ou comptes-tu sortir pour le défendre sur scène ?

C. : Crisluna va prendre son envol scénique début 2012. Nous projetons de tourner autant que possible, en France, en Allemagne et j’espère en Belgique !

M.S. : Avec le recul, y a-t-il des choses que tu changerais si tu pouvais réenregistrer “Babylon Child” ?

C. : “Babylon Child” est tout ce que je rêvais de faire. J’aurais, bien sûr, désiré l’enregistrer dans un vrai studio avec des pros du son. Il m’a permis de découvrir des choses enfouies au plus profond de moi. C’est un voyage intérieur incroyable et je l’ai vécu comme une véritable prise de conscience de moi-même. En cela il est fidèle à ce que je suis aujourd’hui.

M.S. : Si ce n’est pas trop indiscret, quels sont tes centres d’intérêts extra-musicaux ?

C. : Ma famille, mes copains, le vélo pour des longues balades en forêt et le tennis pour garder la forme !

M.S. : Quels sont tes projets à court et à long terme ? Entendrons-nous bientôt parler de Crisluna chez nous ?

C. : Le week-end dernier, j’ai tourné avec un ami cinéaste, un court métrage pour illustrer la chanson titre de l’album. Celle-ci parle du grave problème des enfants soldats. Ce film sera présenté sur internet dans les prochaines semaines, et nous espérons pouvoir le diffuser plus largement sur des festivals de courts métrages et de clips-vidéo ainsi que via des ONG qui se battent sur le terrain contre ce fléau. Les deux derniers mois de l’année seront pris par la mise en place scénique de “Babylon Child” et je travaille en parallèle sur le prochain LP qui, je l’espère, se fera courant 2012. Il sera beaucoup plus direct que ‘Babylon’. Ce sera un album très différent, mais je ne t’en dis pas plus pour l’instant.

M.S. : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

C. : Eh bien déjà un grand merci à tous ceux qui partagent notre passion de la musique. Ecoutez bien fort mes chansons sur Music In Belgium !

One little thing can change everything !
Crisluna

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