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LEDFOOT – Gothic blues volume 1

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Drôle de bonhomme que ce Ledfoot, un homme aux cheveux blancs comme neige qui joue du blues en Norvège. Cette tentative de poésie à deux balles est directement provoquée par le choc issu de cet album “Gothic blues volume 1” qui va tout simplement vous aplatir et vous faire remettre en cause tout ce que vous pensiez savoir sur le blues.

Mais avant de se laisser aller à trop d’émotion et de basculer dans la folie enthousiaste, revenons sur Ledfoot pour de plus amples détails. Le bonhomme s‘appelle en réalité Tim Scott McConnell et il n’est pas norvégien puisqu’il est né en Floride en 1958. Son père, pour des raisons professionnelles, le trimballe aux quatre coins de l’Amérique et on retrouve Tim Scott à l’âge de quinze ans dans des bars de bikers de Floride, où il joue ses premières compositions blues. À 17 ans, il débarque à New York, où il se scotche dans l’underground le plus radical et zone bien entendu dans les endroits mythiques du coin, CBGB, Max’s Kansas City ou Mud Club. Le milieu musical new-yorkais du milieu des années 70 est plutôt happé par le punk et la new wave que par le blues et il faut attendre 1979 pour voir Tim Scott monter son premier groupe important, les Rockats qui vont commettre un album sur le label Island en 1981.

Tim Scott est aussi connu pour avoir monté les Havalinas en 1989 mais, entre-temps, il mène une carrière solo qui se solde par quelques albums sur les labels Sire (“Swear”, 1983) puis Geffen (“High lonesome sound”, 1987). Les Havalinas parviennent à sortir leur premier album éponyme en 1990 chez Elektra. Bob Dylan, Chris Isaak ou Tina Turner sont les artistes qui emmènent les Havalinas en première partie de leurs tournées. Puis en 1993, Tim Scott s’installe en Norvège où il mène depuis sa carrière solo. Il sort sur Warner l’album “Deceivers and believers” en 1994, ce qui lui occasionne une certaine écoute dans son nouveau pays d’adoption. En 1996, son album “Everywhere I’ve been” contient “High hopes” une chanson qui sera reprise par Bruce Springsteen sur son EP “Bloodbrothers” la même année.

Avec le temps et l’expérience et quelques albums de plus (“13 songs”, 2005), Tim Scott est devenu un vieux loup de mer dans l’océan du blues. Il développe ce concept de Ledfoot à partir de 2007, un nom qui va finir par devenir son pseudonyme. Après avoir sorti “The devil’s songbook” en 2008 et “Damned” en 2011, Tim Scott/Ledfoot (à ne pas confondre avec le Leadfoot américain, groupe de stoner sudiste) se fend de ce “Gothic blues volume one” un album au titre bien pensé. En effet, le gothique, on sait ce que c’est : ça va de Dracula au fond de son cercueil jusqu’aux jeunes filles blanchâtres errant dans les cimetières en passant par les gémissements de The Cure ou les grincements de Fields Of The Nephilim. Le blues, on connaît aussi : les champs de coton, l’esclavage, les amours perdues, l’ennui, le chômage, les traîtres et 90 ans de musique qui vous prennent à la gorge.

Avec Ledfoot, on a le mélange génial entre les deux genres. Ce type est d’une tristesse et d’un désespoir à faire passer Johnny Cash ou Robert Smith pour une réincarnation des Marx Brothers en technicolor avec concours de pets et lancers de tartes à la crème sans aucun supplément de prix. Le faciès abîmé du bonhomme, aussi tatoué que la tapisserie de Bayeux, donne un petit côté Cramps, non seulement dans l’aspect visuel, mais également dans la musique qui décoche de sourds relents de rage intériorisée, enduite d’un minimalisme aussi zen que paumé. Tout cela est d’autant plus énorme que cet album a été enregistré en une seule journée, de neuf heures à minuit, le 28 avril 2011. La guitare et la voix qui entament “I don’t want this worry anymore” sont d’une profondeur gutturale effaçant tout autour de soi et ne laissant que l’essentiel, c’est-à-dire le vide. Juste accompagné de sa guitare, Ledfoot triture en treize titres un blues à la John Lee Hooker mais lui donne cet aspect scandinave, fait de rudesse hivernale et de solitude aride. Ajoutons-y l’implacable rigueur de Johnny Cash et la poésie désillusionnée de Nick Cave et on obtient un pas immense dans l’histoire de l’humanité musicale, un blues décharné, moderne et qui sied parfaitement à notre Grande Dépression à nous, celle des années 2010 qui donnera, j’espère, d’aussi belles poussées de tristesse inspirée que celles qui ont jalonné les années 30. Charley Patton et Calvin Russell peuvent reposer en paix, le message blues continue de faire son chemin.

Pays: NO
Hypertension Records HYP 12288
Sortie: 2012/04/02

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