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Focus sur deux soirées Libertines à l’AB

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Qui aurait imaginé voici à peine douze mois que les Libertines allaient sortir un troisième album d’excellente facture et, dans la foulée, remplir l’Ancienne Belgique par deux fois. C’est pourtant ce qui est arrivé ces vendredi 4 et samedi 5 mars lors de deux soirées rock ‘n’ roll à la hauteur de leur réputation. D’autant qu’ils n’avaient rien laissé au hasard en invitant non pas un mais deux groupes en guise d’apéro. Ce sont les bizarrement nommés Amyjo Doh & The Spangles qui ont ouvert le bal à 19h tapantes. L’assistance maigrichonne à ce moment de la soirée n’a en tout cas aucunement perturbé le quatuor emmené par une excentrique chanteuse vêtue d’une robe rouge à paillettes alors qu’un boa pend au pied de micro du guitariste (un autre est enroulé autour du cou du bassiste).

Bien que le groupe soit originaire de la même ville que Hinds (Madrid), le style, l’attitude et la perception seront, pour notre plus grand soulagement, radicalement différents. En effet, une voix rauque et sautillante (on pense à Lene Lovich) inspire un rock garage mélodieux et déjanté qui vire parfois vers une atmosphère ska sans les cuivres. Une chose est sûre, ils s’amusent sur scène et ils iront même jusqu’à balancer des bonbons dans le public en guise de remerciements.

Un curieux discours de propagande a ensuite accompagné les spectateurs tout au long des soundchecks d’une vieille connaissance, Jon McClure, qui allait prendre le relais avec son groupe Reverend & The Makers, que l’on avait déjà eu l’occasion de chroniquer à la Rotonde du Botanique en 2009 lors de la sortie de leur deuxième album. Ils en sont à leur cinquième (“Mirrors” date d’octobre dernier) mais leur succès semble désormais cantonné à leur pays natal.

Leur prestation entamée en acoustique (simplement avec un guitariste et un claviériste) nous fera instantanément retomber sous le charme de la voix de velours du chanteur qui renvoie à celle de Damon Albarn, même si cette formule bluesy a de quoi surprendre. La seconde partie sera nettement plus musclée avec l’arrivée d’un batteur et d’une bassiste qui n’est autre que Charlotte Cooper des Subways, désormais rousse et contrainte de limiter ses mouvements. Le hit indie “Heavyweight Champion Of The World” et les cuivres de “Silence Is Talking” achèveront de préparer l’assemblée en vue du plat de résistance de la soirée.

Après une première tentative de courte durée en 2010, les Libertines se sont reformés pour de bon en 2014 et ont depuis résisté à l’implosion. Mieux, après une tournée triomphale, ils ont même réussi à enregistrer un troisième album cohérent et à la fougue renouvelée, “Anthems For Doomed Youth”. Mais les deux enfants terribles du rock que sont Pete Doherty et Carl Barât, deux personnalités pas lisses et aux antipodes (bien que marquées par les mêmes aspirations) sont-ils en mesure de tenir toute une tournée ensemble ? Selon les dernières nouvelles, ils ont fait la paix et ils s’aiment. Tout était donc réuni pour assister à une prestation que l’on espérait un brin moins nostalgique qu’à Forest National lors de leur dernière visite belge.

Le groupe montera sur scène au son du “Golden Years” de David Bowie sous un déluge d’applaudissements avant de démarrer avec l’excellente plage d’intro du nouvel album, “Barbarians”, et de faire directement rentrer le public dans l’ambiance de Camden (“All I want is to scream out loud”). Carl, perfecto et chapeau vissé sur le crâne, se trouve au milieu de la scène. Pete, débraillé, se tient à sa droite, le bassiste John Hassall de l’autre côté et bien sûr l’imposant batteur Gary Powell qui ne tardera pas à se retrouver torse nu derrière eux.

Les riffs de “The Delaney” (une vieille face B) et de “Horror Show” vont faire grimper la température dans le moshpit et provoquer des bousculades dont les répercussions se feront sentir au-delà du tiers de la salle. Mais le plus important, c’est qu’entre les deux, “Heart Of The Matter”, un nouveau titre, aura le même effet sur des fans en délire. “Anthems For Doomed Youth” est un fichu bon album dont la transposition scénique lui apporte un réel plus. Surtout qu’ils s’y plongeront généreusement, un indice qui en dit long sur la confiance du groupe. On retiendra particulièrement dans un premier temps “Fame And Fortune” ainsi que la plage titulaire de la plaque, en toute retenue.

Les sensibilités des deux protagonistes se mélangent et se complètent magnifiquement. À l’enracinement et la présence de Carl répondent le flottement et la spontanéité de Pete. Sans surprise, la complémentarité est leur force. Ils chantent à tour de rôle mais se retrouvent bien souvent à partager le même micro pour une image devenue caractéristique du groupe. On a envie de s’assoir comme dans un club, de boire une bière et de se réjouir d’être là, que c’est le week-end et que tout va bien en fin de compte (“The world’s fucked but it won’t get me down”)…

D’autres aussi ont pensé à la bière… mais pas nécessairement pour se désaltérer. Les gobelets à moitié vide volent par-dessus les têtes. Les fans s’échauffent (“The Man Who Would Be King”), et on se dit qu’en principe, les Libertines ce n’est pas forcément pour être tranquillement assis… C’est alors que Carl pose sa guitare et s’assied derrière un piano… Ambiance feutrée pour le magnifique “You’re My Waterloo”. C’est beau, fort et fragile (“You are the survivor of more than one life”). On est très bien, là… Une impression que cette chanson est la clé du nouvel album et le fruit de cette complicité retrouvée de Pete et Carl, même si, historiquement, cette composition existe depuis les débuts du groupe. Ceci dit, elle apparaît suffisamment importante à leurs yeux que pour installer un piano sur scène uniquement pour la première partie de celle-ci…

Elle sera aussi le moment pivot de la soirée : l’ambiance change, on reprend les guitares électriques, “Gunga Din” démarre et on comprend que l’on va passer aux choses sérieuses. Le rythme s’accélère, la température monte, le groupe est généreux et les fans reconnaissants. Le pogo est généralisé dans la fosse, les bières volent joyeusement, les cigarettes se consument… “Can’t Stand Me Now” maintient l’intensité qui va monter encore de quelques crans lorsque Pete va jeter dans le public l’harmonica avec lequel il vient de terminer le titre. Celui-ci se retrouvera en morceaux en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire…

“Vertigo” va ensuite entamer un final qui ne laissera aucun répit à des fans remontés comme jamais. Finalement, la bière qui retombe du ciel de l’AB rafraichit les corps (le tout est d’éviter les gobelets…). “Death On The Stairs” et “Time For Heroes” vont nous replonger en 2002 lorsque leur concert au Witloof Bar du Botanique (appelé encore Café-Théâtre à l’époque) s’était déjà transformé en émeute. Les spectateurs chantent les paroles avant même que la musique ne démarre et envoie diverses offrandes sur scène.

Exclusivité du premier soir, au terme de “The Good Old Days”, alors que Gary Powell amusait la galerie avec des pas de danse improvisés, Pete Doherty décochera un dernier riff avec sa guitare avant de l’envoyer valser dans le public. La tête du roadie derrière lui était sans prix. Surtout que ce dernier savait qu’il allait devoir aller la récupérer. Cela lui prendra dix minutes, aidé d’un technicien et des gorilles de l’AB…

Le groupe remontera finalement sur scène et on ne sait pas ce que Peter vient de s’envoyer mais il a désormais l’air un peu chargé (on se doute que ce n’est pas le verre de bière qu’il videra d’un trait sur scène). Ceci dit, “Music When The Lights Go Out” relancera la machine en douceur (façon Libertines s’entend). Elle ne s’arrêtera plus : “Up The Bracket” et l’incroyable “What A Waster” seront des moments forts. Pete se lâche de nouveau, il fait tomber son micro et le donne gentiment aux spectateurs du premier rang (malgré l’avis négatif du vigile). Il reçoit une nouvelle offrande qu’il accroche à sa guitare : un string ! “Don’t Look Back Into The Sun” à l’intro allongée va clôturer une soirée rock ‘n’ roll comme l’AB n’en avait plus connue depuis longtemps. “Danke schön and bonne nuit”, lancera-t-il avant de quitter la scène. En 2016, les Libertines sont aussi indispensables qu’à l’aube des années 2000. Ce n’est pas la nostalgie qui les tient, mais la passion…

(Merci à la précieuse collaboration de Dora Gaspar)

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