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Dour Festival 2022 (part 3) : Tied up in Dour

Troisième et dernière partie de notre review consacrée au Dour Festival 2022 avec le grand retour des guitares au Labo. L’occasion de revoir un paquet de têtes connues sur et en dehors de la scène, le tout sous une météo plus qu’estivale.

À ce propos, nous ne sous sommes pas encore attardés sur le look des festivaliers lors de cette édition. Outre les traditionnels costumes exubérants et souvent inconfortables, il pourrait se résumer à trois accessoires : bob, tatouage(s) et… paillettes. Une source intarissable devait sans doute se situer entre le camping et le site du festival car rares sont ceux qui n’en arboraient pas.

Pour ne pas changer, c’est sous la Petite Maison dans la Prairie que notre première bouffée de décibels s’est opérée. Une salve mélodieuse en compagnie de Glass Museum dont la carrière a franchi plusieurs paliers depuis leur dernière visite à Dour en 2017. Outre deux albums (“Reykjavik” et le petit dernier “Reflet”), Antoine Flipo et Martin Grégoire ont acquis une réputation dépassant largement les frontières nationales. La symbiose unissant le piano du premier et la batterie du second explique en grande partie l’engouement, d’autant qu’ils n’ont pas leur pareil pour installer des atmosphères captivantes. Mais les pointes électroniques injectées çà et là envoient leurs compositions dans d’autres dimensions alors que la présence d’un contrebassiste renforce l’aspect mélodieux.

Pendant ce temps-là, les Parisiens de Bryan’s Magic Tears avaient entamé le marathon indie dominical sous le Labo, un endroit que l’on ne quittera plus qu’à de très rares occasions. Peu de temps après avoir participé à la Nuit anniversaire du label Born Bad Records au Botanique l’an dernier, ils ont publié “Vacuum Sealed”, un troisième album au son revival shoegaze marqué mais drôlement efficace. Le set de cet après-midi fera ainsi la part belle aux guitares crasseuses et nos tympans leur seront reconnaissants, via des titres comme “Greetings From Space Boys” et “Sad Toys”, que l’on dirait tout droit sortis de la période Madchester du début des 90’s.

Une période à laquelle on associe notamment les Happy Mondays, un groupe caractérisé par la présence de Bez, un type qui dansait et jouait parfois des maracas sur scène. Rien de tout cela cet après-midi si ce n’est la présence de deux guignols au milieu de musiciens imperturbables. On ne sait toujours pas de qui il s’agit mais, vu le t-shirt porté par l’un d’entre eux, faisaient partie de l‘entourage du groupe. Un groupe dans lequel la bassiste Lauriane Petit prend de l’ampleur et le micro sur plusieurs titres (dont un excellent “Excuses”), en support ou non du leader Benjamin Dupont. On a par ailleurs apprécié leur esprit rebelle en dépassant allégrement leur slot avant de tenir un discours capitaliste destiné à vendre leurs t-shirts et leurs vinyles avant de disparaître backstage.

Lors de la dernière édition des Leffingeleuren, les Londoniens de Warmduscher avaient déglingué la scène via un set d’une rare intensité. Depuis, ils ont publié un nouvel album, “At The Hot Spot”, qu’ils ont présenté sur la scène du Labo. Était-ce l’heure du goûter, la chaleur accablante ou le costume de laborantin des musiciens (excepté le chanteur tatoué en singlet), leur prestation nous a en tout cas paru bien plus sage qu’à l’époque. Toujours aussi intenses et malsaines, leurs compositions moins subtiles que celles de Fat White Family (avec qui ils sont liés) peinent à se démarquer malgré une basse omniprésente et une brutalité retenue. Seule consolation, les premiers pogos de la journée qui ont fleuri sur la fin…

Est ensuite venu le moment idéal pour aller jeter un œil au Dub Corner tout proche, là où le célèbre Mad Professor (connu notamment pour avoir remixé le “Protection” de Massive Attack au milieu des années 90, rebaptisé “No Protection” pour l’occasion) s’apprêtait à prendre possession des consoles. Mais c’est davantage à une prestation vocale de sa comparse Sister Aisha qu’à une manipulation du guru qu’il nous a été donné d’assister. Avec toutefois l’avantage de se trouver à moins d’un jet de vinyle des artistes. Un endroit reculé prisé par une communauté et ceux qui veulent chiller ailleurs qu’au Square.

Loupée à l’affiche des récentes Nuits du Bota pour cause de Get Well Soon à l’Atelier 210, la prestation de Los Bitchos était donc un passage obligé en ce début de soirée. Les Londoniens (quatre filles et un gars) aux influences hispaniques et psychédéliques n’ont en effet pas leur pareil pour installer des ambiances visuelles qu’un rien d’imagination permet de transformer en scénario de long métrage au milieu des grands espaces américains. Bien entendu, leurs compositions exclusivement instrumentales facilitent grandement l’exercice même s’ils nous perdent de temps à autre dans leurs délires sinueux bardés de percussions.

Dans le genre déstabilisant, les Londoniens de Black Midi ne sont pas mal non plus. “Hellfire”, leur troisième album en quatre ans, est sorti l’avant-veille du concert et la première plage qu’ils en interpréteront ce soir (“Welcome To Hell”) pourrait s’adresser aux spectateurs non avertis à qui ils vont faire tourner la tête. Car un concert de Black Midi, c’est se prendre dans la figure de brusques changements de rythme, des expérimentations math rock jazzy futuristes et des impasses sonores complexes (“953”, “John L”). Ainsi que le flow imprévisible d’un chanteur au look improbable (l’époustouflant “The Race Is About To Begin”) et l’énergie décuplée d’un batteur impressionnant dans tous les sens du terme.

Mais une fois que l’on passe ces barrières et que l’on s’immisce dans leur univers, c’est une révélation qui se tient au bout du chemin. Bon, on exagère à peine mais rappelons que leur concert l’an dernier au Bota s’était classé tout en haut de notre liste malgré un fauteuil et un masque. Ce soir, ces accessoires ne font plus partie de l’équation mais ils en ont sans doute perdu quelques-uns en chemin. Si cela peut rassurer ceux qui sont dans le cas, on devient rarement adepte du premier coup. Rendez-vous au Trix le 1er novembre pour une nouvelle tentative…

Si la Biélorussie ne récolte pas vraiment les faveurs de l’opinion publique ces derniers temps, un de ses plus improbables représentants défraye la chronique de manière nettement plus positive. Remplir des salles de concerts à travers le monde (l’Orangerie du Botanique l’an dernier en Belgique) envoie de fait un tout autre signal. Pourtant, dans un monde rationnel, les gaillards de Molchat Doma n’auraient jamais dû s’exporter au-delà des frontières de leur pays, voire au mieux de celles de la Russie voisine.

Mais voilà, le terme anachronisme avait besoin d’un exemple concret et le trio de Minsk le définit parfaitement. Adeptes d’une cold wave sombre et glaciale qui rythmait la guerre froide sous Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, les trois compères ont réussi le pari insensé de faire écouter à la génération Spotify la musique de leurs parents, avec le support involontaire de TikTok. Mais le plus incroyable, c’est qu’ils en sont dingues. Comme quoi, tout n’est pas perdu…

Basées sur une boîte à rythme rudimentaire, des nappes de synthés désuètes et une voix monocorde presque désintéressée, leurs compositions bricolées (chantées dans leur langue natale) conservent ce côté attachant auquel on ne peut pas reprocher grand-chose. Si ce n’est peut-être une répétitivité qui risque, à terme, de devenir préjudiciable. Ou une tendance à tendre vers un Indochine du bloc de l’est, ce qu’on ne leur souhaite évidemment pas. On préfère garder en tête que les Cure et Joy Division comptent parmi leurs influences principales…

Les deux allumés de Sleaford Mods ont récemment rattrapé le temps perdu puisque ce soir, sous le Labo, c’est la troisième fois en un peu plus de trois mois qu’ils se produisent en Belgique. Après avoir mis l’AB à genoux en avril et foulé la grande scène de TW Classic en juin, c’est à Dour qu’ils ont bouclé leur tournée européenne en support de “Spare Ribs”, publié voici déjà dix-huit mois. Un album dans lequel ils ont puisé l’essentiel d’une set-list incendiaire entamée par “The New Brick” et “Shortcummings”, sa double plage d’intro.

La recette est connue mais tape toujours dans le mille. Andrew Fearn (qui a troqué la danse des canettes pour une séance d’aérobic intense) balance des beats sur lesquels Jason Williamson déclame nerveusement son mal-être d’un langage châtié. Quoi qu’un plus indéniable, saisir les paroles s’apparente à un véritable défi vu l’accent à couper au couteau du gaillard mais le regarder s’époumoner entre deux tocs (la main derrière le dos et l’auto-caresse de la nuque du bas vers le haut sont des musts) suffit à comprendre qu’il ne conte pas fleurette à son amoureuse. Mais il le fait avec beaucoup d’humour (morceau choisi : “I wish I had the time to be a wanker just like you” sur “Elocution”.

Au rayon des curiosités, pointons la voix préenregistrée de Billy Nomates sur “Mork N Mindy” et cette cover déstructurée du “Don’t Go” de Yazoo. Sans oublier la tension entourant des titres comme “Jolly Fucker”, “Tied Up In Nottz” ou “Jobseeker” et menant tôt ou tard vers des pogos soutenus par la rythmique carrée de l’ami Andrew. “Tweet Tweet Tweet” sifflera sans surprise la fin du set… et de notre Dour Festival au terme de cinq jours intenses…

Notez déjà dans vos agendas les dates de la prochaine édition qui aura lieu du 12 au 16 juillet 2023. See you next year !

Photos © 2022 Olivier Bourgi (en-tête) / Léopold Magnus (groupes)

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