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YARDBIRDS – ’68

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Le document sonore dont nous allons parler ici est capital pour comprendre la fin d’une époque et le début d’une autre. En 1968, les Yardbirds sont en fin de parcours et leur épuisement physique et artistique tend à faire oublier que ce groupe fut un des plus importants et des plus sous-estimés de la scène rock anglaise entre 1964 et 1968. Les Yardbirds sont en quelque sorte un groupe maudit qui se sont fait passer devant par les Beatles et les Rolling Stones, même par les Who et les Small Faces, dont on se rappelle plus facilement aujourd’hui. Et pourtant, y a-t-il eu un autre groupe dans l’histoire du rock qui ait servi de tremplin à pas moins de trois des plus grands guitaristes du monde? Il faut effectivement se rappeler que les Yardbirds ont vu passer dans leurs rangs Eric Clapton (1963-65), Jeff Beck (1965-66) et Jimmy Page (1966-68). Et avec Jimmy Page, les Yardbirds vont en fait se transformer par la force d’obligations contractuelles en un groupe appelé… Led Zeppelin. Du pedigree comme ça, on n’en fait plus.

Après les années fastes 1965-66 et les hits “For your love”, “Mr, you’re a better man than I”, “Evil hearted you”, “Heart full of soul” et les albums “Having a rave-up with the Yardbirds” (1965) et “The Yardbirds” (1966), les Yardbirds chutent tout doucement vers une perte d’inspiration. L’album “Little games” de 1967 conduit à une tentative de psychédélisme qui est tout simplement désastreuse. Les tensions entre les musiciens et les addictions en tous genres mènent le groupe droit dans le mur. Le chanteur Keith Relf boit comme un trou depuis quelques mois et Jimmy Page songe de plus en plus sérieusement à retirer ses billes.

C’est alors que les Yardbirds partent enfin aux Etats-Unis au printemps 1968 et y restent plus de deux mois. L’un de leurs premiers concerts à l’Anderson Theater de New York le 30 mars 1968 est enregistré par Epic dans le but de sortir un album live. La sortie du 45 tours “Goodnight sweet Josephine/Think about it” coïncide avec la tournée. Comme d’habitude désormais, le single se traîne aux fond du classement américain. Les Yardbirds jouent à Miami, New York, Detroit, souvent en compagnie de premières parties qui leur volent la vedette. Nul doute que les MC5 et Frost qui ont ouvert pour le groupe au Grande Ballroom de Detroit le 3 mai 1968 ont dû tailler quelques croupières à nos Yardbirds fatigués.

Pourtant, ces pionniers du R’n’B menaçant sont encore capables de jeter du gros son dans la bataille. Leur concert de l’Anderson Theater capté par Epic révèle une formation encore puissante. L’enregistrement fait par Epic n’est pas parfait mais le groupe est intense, bien que loin du sommet de sa forme. Ce concert va faire l’objet d’une histoire complexe. Quelques années après la fin des Yardbirds, Epic commercialise les bandes sous le nom de “Live Yardbirds! Featuring Jimmy Page”. Nous sommes en 1971 et Jimmy Page, au sommet de sa gloire avec Led Zeppelin, se dépêche d’interdire la commercialisation de l’album en raison de la pauvreté du son, qui pourrait porter atteinte à la réputation du Dirigeable. C’est la raison pour laquelle les éditions originales de ce vrai-faux live sont extrêmement rares. Par contre les éditions pirates ont pullulé dès l’interdiction officielle. Il était donc possible de profiter de ce concert, révélateur de la forme et de l’orientation musicale des Yardbirds à la toute fin de leur existence. Les versions de “The train kept a-rollin'”, “Mr you’re a better man than I”, “Heart full of soul”, “Over under sideways down”, “Drinking muddy waters”, “Shapes of things”, “I’m a man” sont brutes de décoffrage. La guitare de Page domine les débats et électrifie l’atmosphère tous azimuts. La voix de Keith Relf semble venir d’outre-tombe et la rythmique donne tout ce qu’elle peut pour foncer dans le tas. C’est sans conteste la version de “I’m confused” qui est la pièce maîtresse de cet album. D’abord, c’est la seule trace sonore de l’interprétation du titre de Jake Holmes par les Yardbirds. Ensuite, c’est un exercice de sorcellerie à la six-cordes signé Jimmy Page, qui a déjà eu l’idée d’utiliser un archet de violon pour faire trembler l’auditoire lors de son solo. Enfin, c’est une indication très précise de la façon dont sera joué ce morceau quand il sera repris par Led Zeppelin. Vous imaginez bien qu’une idée aussi bonne que “Dazed and confused” n’allait pas rester sur le carreau à la mort des Yardbirds. Page l’a conservé dans ses bagages quand vient le temps de fonder Led Zeppelin sur les cendres des Yardbirds. La suite appartient à l’Histoire.

L’Histoire s’invite d’ailleurs de nouveau avec la réédition de ce concert de l’Anderson Theater, qui a été supervisée par Jimmy Page en personne. Il aura donc fallu attendre près de 50 ans pour que le sorcier de Led Zeppelin donne un son décent à ce concert promené de bootleg en bootleg durant des décennies. Et en matière de restauration, on touche ici à la perfection. Jimmy Page ne nous a jamais habitués à faire un boulot de remastérisation à moitié et ce “Yardbirds ’68” ne déroge pas à la règle. C’est très simple, on a tout simplement l’impression d’être sur scène et on découvre de nombreuses subtilités qui avaient été camouflées par les enregistrements précédents.

Niveau packaging, on est aussi dans le superbe. Un livret d’une trentaine de pages regorge de photos et d’affiches d’époque, sans parler de doctes explications sur l’histoire des Yardbirds. Comme ça, ce serait déjà parfait mais le bon Jimmy nous a rajouté un second disque de raretés, avec des chutes de studio et certains inédits qui vont faire saliver les historiens, comme cette version instrumentale appelée “Knowing that I’m losing you” qui deviendra “Tangerine” sur le troisième album de Led Zeppelin en 1970. Inutile de dire qu’on évolue ici dans le sublime et que les fans de Led Zeppelin, des Yardbirds, des Sixties et du hard rock naissant vont pouvoir se lustrer les conduits auditifs avec des choses incomparables. Tout cela s’est passé il y a déjà un demi-siècle mais c’est comme si on y était encore.

Pays: GB
Jimmy Page Records JPRLPCD3
Sortie: 2017/11/05 (réédition, original 1968)

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